lundi 15 mai 2017

S. Corinna Bille : EMERENTIA 1713, Ed. Zoé, 1994


Ce court récit reprend celui de la "Petite Mérette" que Gottfried Keller, autre auteur suisse, avait écrit entre 1853 et 1855. Mais S. Corinna Bille l'inscrit dans le Valais, au début du XVIIIe siècle, alors que le Rhône n'était pas "corrigé" et que la plaine était soumise aux débordements du fleuve. 

C'est l'histoire d'une gamine de 7 ans, orpheline de mère, et qui dès lors, refuse de dire ses prières. Son père, mais surtout sa belle-mère, s'en débarrassent et la placent à la campagne auprès d'un prêtre à la cruauté dont l'imbécilité égale la frustration. Ce dernier tient un journal.

"J'ai bien reçu, ce jour, de la haute et pieuse dame de M., la pension due pour le premier trimestre, que j'ai aussitôt quittancée et portée en compte.Par après j'ai administré à la petite Mérette (Emerentia) sa correction régulière de la semaine qui a été plus rude, parce que je l'ai couchée sur le banc et fouettée avec une verge neuve, non sans lamenter et soupirer vers le Seigneur, pour qu'il veuille bien mener à bonne fin la triste besogne. En vérité, la petite a poussé des cris douloureux et demandé pardon avec humilité et désolation, mais elle ne s'est pas moins obstinée dans son endurcissement et elle a fait mépris du livre de messe mis sous ses yeux par moi pour son étude."

Ce qui justifie la reprise du thème par S. Corinna Bille, c'est le rapport empreint de poésie qu'elle établit entre la "sauvagerie" du fleuve et le lien que la petite fille entretient avec celle de la nature, au point que très vite, on murmure dans le village que c'est une sorcière.

"Sur le Rhône apparurent des troncs noircis; des serpents qui s'enfonçaient, se dressaient soudain retenus par les pierres, repartaient repris par les remous.
Sur les rives, au risque de s'enliser, les paysans tiraient à eux à l'aide de perches munies de crocs ces épaves. Le fleuve s'étendit encore, les marécages se dédoublèrent. D'eux s'élevaient des brouillards allant aussi vite que le vent. Un roulement de nuages au-dessus du roulement des eaux. ça faisait autant de tapage que l'invasion des armées. 
Au loin, criaient les oies, des cris méchants, lacérés comme les joncs."

Tout le plaisir est dans la lecture de cette prose si poétique. En quelques mots, quelques phrases, l'auteur crée l'atmosphère d'un univers pas si lointain, où la bienséance, le respect des dogmes religieux, la crainte mêlée de respect des populations paysannes envers les nobles de la ville, pouvaient engendrer les assassins d'une fillette en proie à la révolte.

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