mardi 16 mai 2017

S. Corinna Bille : LE MYSTERE DU MONSTRE, Editions du Verdonnet, 1967


Un conte que S. Corinna Bille dédie à ses enfants. Elle l'écrit, comme elle le leur racontait, en y intercalant les questions et les exclamations des petits. 

En Valais, une bête décime les troupeaux de moutons et s'en prend même aux vaches, mais ces dernières semblent la décourager. La rumeur publique enfle, tous les journaux  en parle, des journalistes viennent même de l'étranger. 

Plusieurs témoins disent l'avoir entrevue. Les suppositions vont bon train, du lynx à la panthère en passant par la hyène. 

"Le troupeau de génisses noires broute, paisible, son gazon parfumé; sur un roc est assis à côté du petit berger notre Hilaire, tout pensif. Votre oncle René-Pierre tire de son sac une bouteille de fendant...
Alors, Hilaire, il paraît que tu l'as vu ?
Hilaire secoue sa grosse tête et sourit de son étrange sourire triste :
A toi, je le dis (mais garde le secret !): je l'ai pas vu.
Tu ne l'as pas vu ?
Non.
Et pourquoi tu as dit que tu l'avais vu ?
J'avais envie de rentrer au village... Mais quand tous ces messieurs de la Gendarmerie sont venus me poser des questions, je t'assure : j'étais embêté."

(...)

C'est lui qui l'a tué ? demande Blaise.
Non.
Qui alors ?
Attends. De plus en plus, on parlait du Monstre.(...)

Comme vous l'aurez compris, le suspens n'existe que pour les petits, car la bête de ce "conte" a bel et bien existé.

L'édition que j'ai entre les mains a été illustrée par Robert Hainard, un artiste bien connu en Suisse. 

Robert Hainard - Couple de loups marchant

lundi 15 mai 2017

S. Corinna Bille : EMERENTIA 1713, Ed. Zoé, 1994


Ce court récit reprend celui de la "Petite Mérette" que Gottfried Keller, autre auteur suisse, avait écrit entre 1853 et 1855. Mais S. Corinna Bille l'inscrit dans le Valais, au début du XVIIIe siècle, alors que le Rhône n'était pas "corrigé" et que la plaine était soumise aux débordements du fleuve. 

C'est l'histoire d'une gamine de 7 ans, orpheline de mère, et qui dès lors, refuse de dire ses prières. Son père, mais surtout sa belle-mère, s'en débarrassent et la placent à la campagne auprès d'un prêtre à la cruauté dont l'imbécilité égale la frustration. Ce dernier tient un journal.

"J'ai bien reçu, ce jour, de la haute et pieuse dame de M., la pension due pour le premier trimestre, que j'ai aussitôt quittancée et portée en compte.Par après j'ai administré à la petite Mérette (Emerentia) sa correction régulière de la semaine qui a été plus rude, parce que je l'ai couchée sur le banc et fouettée avec une verge neuve, non sans lamenter et soupirer vers le Seigneur, pour qu'il veuille bien mener à bonne fin la triste besogne. En vérité, la petite a poussé des cris douloureux et demandé pardon avec humilité et désolation, mais elle ne s'est pas moins obstinée dans son endurcissement et elle a fait mépris du livre de messe mis sous ses yeux par moi pour son étude."

Ce qui justifie la reprise du thème par S. Corinna Bille, c'est le rapport empreint de poésie qu'elle établit entre la "sauvagerie" du fleuve et le lien que la petite fille entretient avec celle de la nature, au point que très vite, on murmure dans le village que c'est une sorcière.

"Sur le Rhône apparurent des troncs noircis; des serpents qui s'enfonçaient, se dressaient soudain retenus par les pierres, repartaient repris par les remous.
Sur les rives, au risque de s'enliser, les paysans tiraient à eux à l'aide de perches munies de crocs ces épaves. Le fleuve s'étendit encore, les marécages se dédoublèrent. D'eux s'élevaient des brouillards allant aussi vite que le vent. Un roulement de nuages au-dessus du roulement des eaux. ça faisait autant de tapage que l'invasion des armées. 
Au loin, criaient les oies, des cris méchants, lacérés comme les joncs."

Tout le plaisir est dans la lecture de cette prose si poétique. En quelques mots, quelques phrases, l'auteur crée l'atmosphère d'un univers pas si lointain, où la bienséance, le respect des dogmes religieux, la crainte mêlée de respect des populations paysannes envers les nobles de la ville, pouvaient engendrer les assassins d'une fillette en proie à la révolte.

vendredi 12 mai 2017

Jacques Chessex : L'OGRE, Grasset, 1973


En visite chez ma mère pour quelques jours, je profite de sa bibliothèque, pour retrouver cet auteur suisse, qui obtint le prix Goncourt avec cet ouvrage.

Emblématique de son oeuvre, ce roman nous plonge dans l'univers tourmenté de Chessex. Jean Calmet, un enseignant de latin au Collège de la Cité à Lausanne, assiste à l'incinération de son père avec une impression de soulagement. Enfin, celui qu'il a tant aimé ne sera plus là pour le rabaisser et le traiter de haut.  

Et pourtant, malgré les cendres bien enfermées dans l'urne déposée au columbarium du cimetière, le regard inquisiteur et justicier est toujours présent, au point de rendre le pauvre professeur impuissant au propre et au figuré. S'il croit trouver un peu de répit auprès de la toute jeune femme qu'il rencontre dans son café préféré, cela n'est que de courte durée et le poids de l'autorité abusive du père s'impose à lui quoi qu'il fasse. 

L'ogre de son enfance le poursuit. Il se rappelle le jeu tant de fois répété.

Fontaine de Berne que Jean Calmet
revoit à l'occasion d'une course
d'école avec ses élèves
"- Pourquoi restes-tu planté devant moi ? s'écrie le docteur qui fixe Jean Calmet dans les yeux en mastiquant sa viande à grandes dents. Un silence pendant lequel les yeux farouches ne le quittent plus.
- Je vais te manger si tu ne t'enfuis pas. Je vais te manger pour mon souper, mon pauvre Jean !
Jean Calmet ne peut pas s'enfuir. Il n'en a pas envie non plus. Il connaît la suite, il l'attend. Il frémit de plaisir et de peur en y songeant. (...)
- Ah, ah, ah, le gros monsieur va manger le petit garçon qui traînait dans la forêt !
Le docteur grimace toujours. Tout à coup avec une agilité incroyable, il lance la patte, attrape Jean Calmet par le collet, l'attire à lui, le ploie sur ses genoux et pose la lame froide sur sa gorge.
- Alors, mon agneau ! crie le docteur. On va lui couper la garguette ! On va le saigner, ce mignon ! (...)
Le bourreau grogne et gronde. La victime s'abandonne et se pâme de plaisir. Au fond de la pièce, dans l'ombre, Mme Calmet, immobile, contemple la scène rituelle d'un regard fixe et sans expression." 

Chessex interroge le rapport à l'autorité paternelle, à la passivité maternelle, à la difficulté de forger sa personnalité dans un milieu où la force et la puissance et le prestige sont la règle. Et tout semble faire accroire que la disparition du tyran n'allège en rien son pouvoir, au contraire.

Il étend son propos à la facilité avec laquelle l'autoritarisme, notamment du nazisme,  a pu et peut encore représenter un moyen de "se venger de son humiliation". 

Chessex ne cherche pas à plaire. Il n'essaie en aucune manière de trouver des excuses à son "pauvre Jean" et n'offre d'échappatoire ni à son personnage, ni à son lecteur et encore moins à lui-même.

samedi 6 mai 2017

Didier van Cauwelaert : UN ALLER SIMPLE, Albin Michel, 1994


Voler une voiture peut vous réserver quelques surprises : un bébé au début du roman, un cadavre à la fin !

C'est sur un ton léger et moqueur que van Cauwelaert aborde le sujet des reconduites à la frontières, mais c'est pour mieux développer la bienveillance qui anime un petit voyou de la banlieue nord de Marseille envers le fonctionnaire malheureux en amour qui est chargé de le reconduire dans son pays d'origine supposé.

Pour ne pas le décevoir, il lui invente (peut-être se l'invente-t-il à lui-même) une origine dans un village perdu dans le Haut Atlas marocain.

Au fil de leur périple, de leur rencontre avec une guide, débrouillarde mais tout aussi larguée dans la vie, l'auteur nous parle de l'amitié, du besoin d'écrire, de l'identification à l'autre et de l'identité.

"Finalement, ce roman que Jean-Pierre voulait écrire en disant "je" avec ma voix, je crois qu'il est en train de naître. J'ai même l'impression que l'auteur se sent de mieux en mieux dans ma peau".

Un livre très facile à lire, qui vous met le sourire aux lèvres et qui évite volontairement la dramatisation. A revisiter ma bibliothèque, il semble que je n'aie lu qu'un seul autre livre de Van Cauwelaert, "Attirances", dont je n'ai gardé aucun souvenir. Pas sûre que celui-ci m'aura plus marquée et je suis tout de même étonnée qu'il ait reçu le prix Goncourt.