jeudi 23 mars 2017

Jacques Chessex : Le vampire de Ropraz, Grasset, 2007


Dès les premières lignes, Jacques Chessex nous plonge dans un univers sombre.  Dieu sait s'il connaît bien le village de Ropraz puisqu'il y habite au moment où il écrit ce livre. Il y a d'ailleurs été enterré lui-même.

"Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois,1903. (...) La peur qui rôde. A la nuit on dit les prières de conjuration ou d'exorcisme. On est durement protestants mais on se signe à l'apparition des monstres que dessine le brouillard. Avec la neige, le loup revient. "

En 1903, deux jours après son enterrement, la tombe de la fille du juge de paix, est profanée, mais pas seulement. Le corps de la jeune fille a été violé, et mutilé de manière sauvage. Les soupçons vont bon train et tous ceux qui ne sont pas dans la norme sont suspectés. L'affaire s'amplifie encore quand quelques temps plus tard, deux autres exactions du même type se produisent dans les villages voisins.  Les journaux locaux, s'emparent de l'affaire. Il faut trouver le Vampire de Ropraz.  

Le jeune Charles Augustin Favez est tout désigné pour faire office de bouc-émissaire. Il sera condamné à perpétuité, mais grâce à l'intervention du médecin qui vient d'ouvrir l'hôpital psychiatrique de Cery près de Lausanne, sa peine sera commuée en internement dans cet hôpital qui proposait des méthodes avant-gardistes pour l'époque. 

Le vrai Charles Augustin Favez s'en est échappé en 1915 et on ne l'a plus jamais retrouvé.

Basé sur ce fait divers le roman de Chessex nous parle du poids des superstitions, du protestantisme et de la culpabilité qui y est intrinsèquement liée, de l'obscurantisme d'une société rurale où "la misère sexuelle, comme on la nommera plus tard, s'ajoute aux rôderies de la peur et de l'imagination du mal"

Ecrit dans un style quasiment journalistique, il se permet tout de même de retrouver le jeune Favez en compagnie de son compatriote, Blaise Cendrars, qui comme on le sait a commandé un groupe de combat de la légion étrangère pendant la grande guerre. Il imagine que c'est sur la base de leurs échanges que Cendrars aurait écrit "Moravagine". 

C'est amusant, mais sans le savoir, j'ai acheté ce dernier livre, en même temps que celui de Chessex. Je vais donc le lire à la suite et je vous dirais si je trouve le lien qu'imagine l'auteur.

Ce n'est que le deuxième livre de Chessex que je lis et pourtant je l'ai connu lorsqu'il enseignait à l'Ecole de Commerce de Lausanne où j'étudiais. Mais c'est une "erreur" que je vais corriger rapidement,  car j'aime son style dépouillé et sa capacité d'exprimer en peu de mots tout une atmosphère. En plus la touche d'humour sur laquelle se termine le roman n'est pas pour me déplaire, mais je ne vous en dis pas plus.

lundi 20 mars 2017

Roger Cuneo : LA JOUEUSE, Une descente aux enfers, Ed.Mon village, 2013


Voilà le troisième livre de Roger Cuneo, un peu comme s'il lui avait fallu revenir une fois de plus sur sa relation bien particulière avec sa mère pour pouvoir enfin faire la paix avec ses souvenirs, mais, peut-être et surtout, avec lui-même.

Ceux qui ont déjà lu Roger Cuneo, savent que sa mère était une joueuse et l'avait placé dans un orphelinat de Lausanne pour pouvoir continuer à s'adonner à sa passion. Si dans ces deux premiers romans il utilisait le "je", il semble que cette fois-ci, il a dû prendre plus de distance : il change les  prénoms de la mère et du fils, il fait l'impasse sur l'existence d'une grande soeur, bref, il raconte une histoire non plus telle qu'il l'a vécue, mais comme il imagine que sa mère aurait pu la vivre. 

Et c'est en cela que la démarche est intéressante, car après tant d'années de souffrance d'abord et d'incompréhension ensuite, il redonne une cohérence à cette vie. Il permet à sa mère de revendiquer le droit de ne pas avoir la fibre maternelle, d'avoir l'ambition de vivre libre et de réussir finalement à se consacrer au jeu en ne subissant plus la pression sociale.

"Elle parait aux caprices du destin au coup par coup : dans l'impossibilité de rembourser les sommes empruntées au Mont de Piété, elle avait perdu ses bijoux ? Qu'à cela ne tienne, au lieu de les pleurer longtemps elle en avait acheté d'autres en toc. Il n'y avait qu'elle qui savait qu'elle portait de la pacotille, vrais ou faux, c'était plus dans la façon dont on les arborait que pour leur valeur réelle que ces trucs faisaient leur effet. Il en allait de même dans sa tête, elle refusait de se perdre dans des raisonnements tortueux, elle avait horreur de s'attarder sur les détails, elle estimait que ce se poser trop de questions ne l'avancerait en rien Sur la conduite à suivre, sa morale était simple : faire fi de l'éducation reçue dans son enfance et ne pas s'en vouloir s'il lui arrivait de se fourvoyer. Si quelqu'un était assez bête pour imaginer la tenir en son pouvoir pour quelques instants d'oubli, ça le regardait, l'essentiel pour elle était de ne pas y perdre son âme. Quant à son fils, en ces moments, il n'existait pas, c'est tout."

Je dois avouer que ce parti pris de distanciation m'a semblé affaiblir un peu le propos - par rapport à son précédent récit - en tout cas dans la forme. J'y ai trouvé moins de force, comme si une certaine pudeur avait retenu l'auteur qui ne m'a pas toujours semblé crédible lorsqu'il prétend parler à la place de cette femme. Comme si la colère retombée, il ne lui était resté que la surprise.

Je ne suis pas sûre qu'il s'agisse vraiment d'une descente aux enfers, car si j'en crois la fin de l'histoire, la joueuse a finalement bien géré sa vie, de manière à se permettre à assouvir sa passion, tout en donnant le change à son entourage. Celui qui est descendu aux enfers c'est bien le fils.