lundi 14 mars 2016

Andreï Makine : LE LIBRE DES BREVES AMOURS ETERNELLES, Seuil, 2011


Plaisir de retrouver Andreï Makine et le regard plein de finesse qu'il porte sur les hommes et les femmes, regard qui, malgré un fort ancrage dans la société soviétique, tend à devenir universel. 

Dans ce roman-ci, il s'attache à présenter ces moments sublimes où l'on tombe amoureux, même si ce n'est que d'une silhouette, même si cela reste la fulgurance d'un instant. Des premiers émois de l'enfance aux rencontres fortuites à l'âge adulte, tout est dans cet éclat fugace, mais si fort.

Mais outre la poésie qui s'en dégage, ce roman présente aussi l'intérêt de nous raconter le quotidien en Union soviétique des années 60 jusqu'à la chute du système, avec ses mythes, ses espérances, ses désillusions et ses combats.

Aucune agressivité dans le propos, mais beaucoup d'ironie et d'humour. 

"Le statut d'amoureux libres s'apparentait à celui de vagabonds, de voleurs, de contestataires. Ce qui n'était pas faux : l'amour est subversif par essence. Le totalitarisme, même dans sa forme molle que notre génération a connue, avait peur devoir deux êtres enlacés échapper à son contrôle. C'était moins la pudibonderie d'un ordre moral qu'un tic de police secrète n'admettant pas qu'une parcelle d'existence puisse prétendre au mystère personnel. Une chambre d'hôtel devenait un lieu dangereux : les lois du monde totalitaire y étaient bafouées par le plaisir que les deux êtres se donnaient sans se soucier des décisions du dernier congrès du Parti. " 

C'est ainsi que le jeune couple ne trouve d'autre refuge qu'une salle de cinéma par une jour pluvieux.

"Soudain, physiquement, je sentis que la salle se crispait, prise d'un spasme violent, musculaire. Je perçus le craquement des fauteuils et le vide créé par des souffles retenus. Léonora qui serrait la main enfonça ses ongles dans mon poignet...
L'ovation qui éclata fut plus éruptive qu'à n'importe quel concert de rock. Je vis des spectateurs sursauter, agiter les bras dans un salut fébrile, embrasser leur compagne avec frénésie démente.(...) 
Or la séquence qui fut applaudie n'avait aucun relief dramatique et aurait même pu être coupée au montage tant sa place dans le sujet était minime. Un soir, le jeune journaliste, fuyant ses poursuivants, entrait dans un petit hôtel de province, demandait une chambre, le préposé lui tendait une clef en disant : "Tenez, monsieur, chambre numéro 14" (ou bien 15, ou 16, je ne me rappelle plus). Rien d'autre. Et ce fut ce bref échange, parfaitement anodin qui jeta la salle dans un état d'hystérie collective. Car les spectateurs furent brusquement mis en présence d'un miracle, lequel était donc, quelque part en Occident, u mode de vie strictement ordinaire. Un homme poussait la porte d'un hôtel et sans présenter une quelconque pièce d'identité recevait une clef !"

J'ai choisi ce passage, mais j'aurai pu choisir celui de la visite que quelques écoliers font à "la femme qui a connu Lénine". 

Chaque chapitre, est en soi une petite nouvelle, mais le roman trouve son unité par le fait que le livre se conclut avec les retrouvailles, bien des années plus tard, de l'homme qui fait l'objet du chapitre d'ouverture, quand tout jeune, il dessine déjà les apparatchicks avec des têtes de porcs.

Un auteur dont je ne rate aucune publication et qui me ravit toujours autant.

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