samedi 31 octobre 2015

Yasmina Khadra : QU'ATTENDENT LES SINGES, Julliard, 2014


En effet, qu'attendent les singes pour devenir des hommes ?!

Qu'attend l'humanité pour évoluer, qu'attend l'Algérie pour répondre aux rêves qu'elle avait suscités à la libération ? 

Sous couvert de roman policier, Yasmina Khadra dresse un portrait cruel de l'état acutel de son pays, où les anciennes "gloires" se sont transformées en "super citoyens exonérés d'impôts" au titre de la "légitimité historique" et qu'on appelle les "rbobas".

Tyran de l'ombre, de sa retraite dorée, M. Hamerlaine tire les ficelles du pouvoir, se fait craindre de la classe politique tout autant que de la presse corrompues. 

"Vous êtes un gros patron de presse, et on ne dirige pas ses journaux par télphathie. Les choses mutent sans arrêt et exigent un traitement approprié immédiat. Il y a péril en la demeure, monsieur l'Information et le "printemps arabe" n'arrange rien à rien.
- Je vous assure que je n'étais pas bien du tout, couine Ed, conciliant. J'étais saturé. Il me fallait prendre du recul.
- Allons donc on ne recule plus de nos jours, on régresse." 

Si certains se rebiffent et tentent de se faire oublier, la plupart, ministres, préfets, et j'en passe, se plient aux invectives des "rbobas". Le tableau est sombre mais pas sans espoir.

En effet, une femme - et ce n'est certainement pas un hasard si Khadra a décidé de confier le rôle de commisaire à une femme - ne recule pas, ne régresse pas; elle fonce et cherche, sans se laisser intimider, l'assassin d'une jeune-fille. L'enquête la fait remonter jusqu'au plus haut, jusqu'à Hamerlaine.

Les témoins sont éliminés les uns après les autres et malgré sa détermination, Nora elle aussi sera victime des bassesses que ce pouvoir n'hésite pas à mettre en oeuvre pour préserver ses privilèges. 

Alors, les singes ne deviendront-ils jamais des hommes ? Si ! Le trop plein, la rage, le besoin de prendre sa revanche sur une vie qui perd son sens, et par-dessus tout celui de retrouver sa dignité, finira pas triompher par le plus insignifiant des acteurs, par le plus faible, par le plus impuissant.

"Enserré dans un costume presque neuf, il sort sur le palier, descend la rue éclatante de soleil, hume à pleins poumons l'air du dehors et, purgé de ses vieux démons, il se laisse emporter par la foule, certain d'être enfin devenu un homme, et digne de marcher parmi ce magnifique peuple qui est le sien."

Khadra est décidément un auteur à suivre. Le regard qu'il porte sur la marche du monde et sur l'Algérie en particulier, est empreint de critique sévère, de dénonciation - avec un certain courage il faut bien l'admettre - mais n'est jamais désespéré, même si le retour à la dignité nécessite la violence.

vendredi 2 octobre 2015

Jean Teulé : LES LOIS DE LA GRAVITE, Julliard, 2003


Grand moment de solitude pour le lieutenant Pontoise quand une femme débarque dans le commissariat où il est de garde, pour se dénoncer et avouer le meutre de son mari qui avait été classé comme  un suicide.

La gravité ce n'est pas seulement celle qui vous attire irrémédiablement vers le sol une fois jeté du haut d'un 11ème étage, c'est aussi celle de savoir comment vivre avec la culpabilité, comment refuser de prendre une déposition qui risque d'envoyer derrière les barreaux pour une vingtaine d'années une femme qui avait toutes les "raisons" de se débarrasser d'un mari violent, ; comment faire passer le temps pour que les trois heures restant avant la prescription du crime ne mette un point final à ce dilemne.

C'est ce que Jean Teulé, avec humour et tendresse pour ses personnages, s'emploie à nous expliquer dans ce très court récit.

"Dire que Pontoise est déboussolé est peu dire... Il est totatlement paumé face à cette femme dévorée de la plus légitime, de la plus pure, de la plus touchante des impatiences :
- Arrêtez-moi.
Elle est raidie, immobile et le corps droit.
Lui s'agite dans son uniforme bleu marine et dans les feuements de tergal, écarte les bras à droite, à gauche, ouvre partout dans le bureau des portes de secours. Il mériterait la médaille de sauvetage. L'écusson de police nationale rebondit sur son coeur au rythme des phrases que lancent ses lèvres comme des bouées, espérant que la criminelle s'accroche à l'une d'elles. C'est désordonné. Ca saute du coq à l'âne :
- Mettez ce souvenir à pourrir dans un trou. / Le remors est une cendre. / Bon, bien sûr on ne doit pas se faire justice soi-même sinon c'est le bordel. / Mais là, c'est fait, c'est fait. On ne peut pas revenir en arrière. / Toute nuit fait place au matin. / Les larmes s'évaporent."

Acheté à l'aéroport de Genève, avant de m'embarquer pour rentrer en Grèce, je l'ai lu dans le train entre Athènes et Corinthe et je n'ai pas vu le temps passer. Un agréable moment où la gravité n'a pas manqué de légèreté !


Arto Paasilinna : LES MILLE ET UNE GAFFES DE L'ANGE GARDIEN ARIEL AUVINEN, Denoël, 2014


On sait qu'il n'est pas facile de gagner son paradis, mais il semble bien, à lire Arto Paasilinna, qu'il est encore plus compliqué d'y rester et surtout d'y travailler en tant qu'ange gardien. Et ce qui est terrible, c'est que même si on a eu une vie exemplaire, il n'est pas sûr que l'on soit automatiquement qualifié pour ce job !

En tout cas, c'est ce que nous démontre, avec forces péripéties et loufoqueries cet auteur qui a décidément de l'imagination et de l'humour à revendre.

"Oskari était suffisamment remis pour pouvoir aller avec elle ramasser les livres dans les champs de Lettopohja. Il leur fallut cependant d'abord attendre la police. Celle-ci arriva une demi-heure plus tard en la personne d'un agent qui interrogea les deux hommes sur les circonstances de l'accident. Aaro expliqua que l'accélérateur du fourgon s'était bloqué à fond, l'obligeant à dépasser la vitesse autorisée. Il n'aurait pas roulé à deux cents à l'heure, sinon, et surtout pas à l'approche d'un passage à niveau.
"Si on avait ralenti, le train nous aurait écrasés", tenta de plaider Oskari Mättö.
Le policier nota : le conducteur admet avoir roulé à 200 km/h dans un corbillard, le coupable est une pédale."

On l'a compris, plus l'ange gardien Ariel Auvinen tente d'aider son protégé, plus il l'entraîne dans des situations invraisemblables et dangereuses, au point que même satan, se dit qu'il ferait une bonne recrue parmi ses anges déchus.

Mais comme toute personne atteignant son niveau d'incompétence, Ariel sera promu responsable des anges gardiens de toute la Finlande... !

Je me suis beaucoup amusée à lire ce court roman et décide d'inscrire Arto Paasilinna dans la liste de mes prochaines lectures.