lundi 17 novembre 2014

Atiq Rahimi: MAUDIT SOIT DOSTOÏEVSKI, P.O.L. 2011


Au moment de commettre le meurtre d'une usurière, maquerelle à ses heures, Rassoul se souvient du héros de "Crime et Châtiment", mais il ne peut poursuivre son forfait en volant les bijoux de la vieille, dérangé qu'il est par la venue d'une femme en tchador bleu. 

Son crime a-t-il encore un sens ? Quel sera son châtiment ? Comment expier dans un environnement où la vie n'a plus beaucoup de valeur, où les roquettes tombent de-ci, de-là, où la guerre entre tribus fait rage, où Allah lui-même, s'il existe, ne l'est plus que pour justifier les péchés.

Rassoul tombe d'abord dans le gouffre de sa faute, en perd la voix, ne sait comment avouer, essaie de s'enivrer de haschich, rien n'y fait ! Son crime a de moins en moins l'allure de l'expression du libre-arbitre, il n'est un héros aux yeux de personnes, encore moins de lui-même, lui qui refuse d'être un shahid (martyr) encore moins un ghazi (guerrier). 

Tout comme Raskolnikov il se livre à la justice, mais quelle justice ? Celle de l'ancien régime ? Celle des talibans ? Kafka n'est pas loin !


"- C'est pour cette raison que je suis venu me livrer à la justice. Je veux donner un sens à mon crime.
- Est-ce que tu as déjà donné un sens à ta vie, pour pouvoir en donner un à ton crime ?
- Justement, je pensais qu'avec ce meurtre je le ferais.
- Comme tous ces gens qui tuent au nom d'Allah pour oublier leurs péchés ! C'est de l'ersatz, jeune homme, de l'ersatz ! Tu comprends ?
- "Oui", fait-il, hochant la tête; puis il demande au greffier : "Est-ce que vous connaissez Dostoïevski?"
- Non. Il est russe ?
- Oui, un écrivain russe, mais pas communiste. Peu importe. Il disait que Dieu n'existait pas...
- Tobah na'ouzobellah ! Qu'Allah te protège de cette aberration ! Chasse cette pensée satanique !
- Oui, qu'Allah me pardonne ! Ce Russe disait que - Tobah na'ouzobellah - si Dieu n'existait pas... l'homme serait capable de tout." Après un silence méditatif, le greffier dit : "Il n'a pas tort !", et, à l'oreille de Rassoul, il susurre : "Alors, ton cher Russe, comment pourrait-il expliquer qu'aujourd'hui, ici, dans ton cher pays, où tout le monde croit en Allah, le Miséricordieux, toutes les atrocités sont permises ?"

Atiq Rahimi réussit à merveille son défi de transposer l'oeuvre de Dostoïevski dans la Kaboul d'aujourd'hui. Son roman a du souffle, de la subtilité et même des clins d'oeil (comment savoir si cette femme en tchador bleu est ou non sa fiancée ?). 

J'aime la liberté de pensée de cet auteur qui m'avait déjà ravie avec "Syngué Sabour". Un livre que je recommande à tous les amateurs de bons romans.

mardi 11 novembre 2014

Markus Zusak : LA VOLEUSE DE LIVRES, XO éditions, 2005


L'Allemagne nazie, une petite fille, des mots à déchiffrer, à lire, puis à écrire... Cela ne vous rappelle pas une certaine Anne F. ?

La comparaison s'arrête là, car si ce roman a tous les ingrédients pour "bien faire", l'importance des livres, de l'amour paternel, de l'amitié, il manque singulièrement de rythme et d'urgence ! Est-ce que parce que c'est la mort qui relate l'histoire ? Peut-être, cette dernière est impavide comme il se doit et malgré le travail que lui donne cette époque-là, elle continue de prétendre qu'elle ne fait que "prendre les âmes au creux de ses bras".

"Je n'oublierai jamais le premier jour à Auschwitz, ni la première fois à Mauthausen. A Mauthausen, au fil du temps, je les ai aussi recueillis au bas de cette grande falaise, quand les âmes, s'échappaient avec tant de mal. Il y avait des corps brisés et des coeurs tendres arrêtés. Pourtant, c'était mieux que les gaz. J'en ai saisi certains avant la fin de leur chute. Je vous ai sauvés, pensais-je en tenant leur âme à mi-chemin, tandis que le reste de leur personne - leur enveloppe charnelle  allait s'écraser au sol. Tous étaients légers comme des coquilles de noix vides. Là-bas, il y avait un ciel de fumée".

Est-ce parce que ce livre est destiné à des adolescents qu'il a un côté mièvre ? Que l'auteur se contente de garder l'Histoire en toile de fond, sans jamais l'interroger ? Comme si, puisqu'il s'agit de faits passés, ils ne devaient pas, ou plus, nous interpeller. 

Les personnages devraient être attachants (une petite fille, son camarade d'école amoureux transi, son père adoptif tendre et compréhensif, son ami juif caché dans le sous-sol, même sa mère revêche mais au grand coeur), mais tout est englué dans une mélasse de bons sentiments.

Alors que le livre se passe dans une période d'horreurs, le mot qui me vient, c'est "joli". Oui, un joli livre, une jolie histoire... 

Dommage.