mercredi 8 août 2012

Jorge Amado : LE VIEUX MARIN, Stock, 1978


Je reste en Amérique latine, plus précisément au Brésil, et je retrouve Jorge Amado avec un très grand plaisir.

Le vieux marin, c'est ce capitaine au long court qui s'installe dans les années 1930 dans le  quartier de Periperi à Salvador de Bahia, quartier habité en grande majorité par d'anciens fonctionnaires à la retraite.

Le narrateur, se fait fort de découvrir la vérité (celle qui est toute nue au fond d'un puits) et de démêler la brouille qui ne tarde pas à diviser la communauté, au sujet de la personnalité et du titre du Commandant Vasco Moscoso de Aragon.

"J'avoue que la malveillante campagne, fille de l'envie et du dépit, que déchaîna Chico Pacheco contre le commandant ébranla un peu mon admiration, auparavant inconditionnelle, pour la figure sans pareille du héros. Quelques-une de ses aventures, examinées à la lumière de la critique impitoyable de l'ex-contrôleur des contributions, me semblent un rien exagérées. Je ne dis pas ça pour influencer l'opinion, je me place ici en historien impartial et, si j'en parle, c'est que j'ai éprouvé un certain agacement à voir les retraités et retirés des affaires accorder si peu d'importance aux observations et commentaires de Chico Pacheco, être restés à tel point solidaires du commandant."

Il faut dire que le commandant ne recule devant aucun effet et ne cesse d'abreuver ses nouveaux "amis" avec des aventures toutes plus hautes en couleurs et en héroïsme les unes que les autres. Et que dire de son histoire d'amour avec la belle Dorothy, dont il porte le nom gravé sur son avant-bras ?

"Elle voyageait avec son mari, un être amorphe, propriétaire de grandes fabriques de je ne sais quoi, préoccupé de chiffres et de négoces, indifférent à la beauté de son épouse et à l'anxiété qui l'habitait. (...)
Comment avait commencé leur histoire ? Il ne le savait pas. Il était le commandant, naturellement il les avait fréquentés et l'avait remarquée, il admirait sa beauté e l'avait désirée en silence. Mais leur différence d'âge était grande, elle avait à peine vingt.cinq ans. Ils avaient de longues conversations, ça oui. Il lui parlait de la mer, des tempêtes et des temps plats, de sa familiarité avec les étoiles. Quand il descendait de la dunette, en pleine nuit, il la trouvait seule, contre la rambarde. Ils parlaient de choses et d'autres, ses yeux le fixaient comme si elle avait voulu le deviner. Et une nuit, sans savoir pourquoi ni comment, il se retrouva avec elle dans les bras. (...)
-Et vous, Commandant, vous vous l'êtes envoyée ?
La vulgarité du mot déplut au commandant. C'était l'amour, un amour sans pareil, incommensurable et absurde, qui s'était emparé de lui, le rendant fou, dès le moment où il l'avait prise dans ses bras et avait goûté la saveur de sa bouche. Mais il était le commandant, jamais dans sa carrière, ses quarante ans de navigation, la plus petite tache ne l'avait souillé, et il ne pouvait pas, il ne pouvait pas... c'est ce qu'il lui dit, les yeux humides, lui qui n'avait jamais pleuré de sa vie."


Mais Chico Pacheco, n'a de cesse de prouver que le titre de Commandant au long cours est usurpé et raconte comment le Seu Aragonzhino l'a acheté avec la complicité de ses compagnons de bamboche. Dorothy a bien existé, mais ce n'était qu'une pensionnaire de la pension Monte-Carlo dirigée par la célèbre Madame Carol.

Dans la troisième partie, la vérité semble devoir sortir de son puits, puisque le Commandant est obligé de prendre la direction d'un paquebot ! Mais c'est sans compter sur   Jorge Amado, qui garde jusqu'au bout le suspens et sait recouvrir la pudeur de la vérité d'un voile de talent.

J'ai tout aimé. La gouaille, les portraits, et bien sûr les têtes de chapitres :

"Du capitaine des ports, avec ses Noires et ses mulâtresses, et Madalena Pontes Mendes, une ennuyeuse demoiselle".

"Du malheur de ne pas savoir la géographie, et de l'erreur d'abuser du bluff au poker".

"Du commandant présidant la table du bord par une mer agitée, avec des menaces de révolution intestine et intestinale".

Si vous appréciez Jorge Amado vous ne serez pas déçus, si vous ne le connaissez pas, vous pouvez tout aussi bien commencer par celui-ci, même si ce n'est pas le titre le plus célèbre de cet auteur prolifique.


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