samedi 28 avril 2012

Henry Bauchau : LES VALLEES DU BONHEUR PROFOND, Actes Sud 1999


C'est moi qui ai plongé dans un bonheur profond à la lecture de ces cinq récits d'Henry Bauchau, qui nous entraînent à nouveau dans le sillage du voyage d'Oedipe et de sa soeur-fille Antigone.

Même si vous n'avez pas lu "Oedipe sur la route" ou "Antigone" ou encore "Diotime et les lions", vous trouverez dans ce recueil, tout l'esprit qui les anime et qui anime surtout cet auteur profond et limpide. 

Qu'il s'interroge sur l'activité de la création artistique, sur la signification du bonheur, de la folie ou de la puissance du cri d'Antigone, Henry Bauchau nous livre, tout comme dans son "Journal d'Antigone", le secret de sa propre rencontre avec ces deux personnages légendaires qui l'ont tant marqué. 

Dans le dernier de ces récits, "L'enfant de Salamine", il imagine la rencontre, en rêve,  de Sophocle avec Oedipe et Antigone et comment ces derniers se sont imposés à lui et ont modelé son oeuvre poétique et théâtrale. 

"J'ai compris que leur supplication, ou leur exigence envers moi, ne s'adressait pas à l'homme, mais au poète tragique. J'ai demandé : "Que puis-je faire sans vous connaître?" Le grand mendiant a répondu : "Je suis Oedipe, le roi aveugle. Celui qui, après ses malheurs et ses crimes, découvre que l'oracle est en nous. Celle-ci est ma fille et ma soeur, Antigone. C'est grâce à elle que nous avons entendu ton appel et sommes, à grand-peine, parvenus jusqu'à toi".
Je sentis, en écoutant l'aveugle, renaître en moi une intime épouvante que j'avais ressentie déjà quand Eschyle m'avait dit : "Laisse-les faire", sans vouloir déchirer le voile d'obscurité dont ses paroles demeuraient enveloppées en moi.
"C'est donc du théâtre, ai-je dit, que vous attendez l'existence et des poèmes tragiques que j'espère encore composer ?". 

Je me rappelle que dans son "Journal d'Antigone", Henry Bauchau disait à quel point il "devenait" Antigone, à quel point celle-ci l'habitait et lui permettait de poursuivre son oeuvre créatrice.  

jeudi 26 avril 2012

Jacques Lacarrière : PAROLES DE LA GRECE ANTIQUE, Albin Michel, 1994

Qui d'autre mieux que Jacques Lacarrière, pouvait recueillir les textes propres à alimenter la très jolie collection "Carnets de Sagesse" d'Albin Michel ? 

Du "Connais-toi toi-même", inscription retrouvée dans le temple d'Apollon à Delphes, au "Il faut se souvenir aussi de celui qui oublie où mène le chemin" d'Héraclite, Jacques Lacarrière nous emmène entre le IVe s. et le VIe s. avant J.-C., au moment où "on peut dire qu'avec l'Inde, la Grèce fut le pays où il y eut le plus grand nombre de sages au kilomètre carré !".... et de nous rappeler que "pour les Grecs, la sagesse s'incarnait non dans un dieu mais dans une déesse : Athéna".

Chaque pensée est illustrée d'une photo, presque toutes de l'auteur, photo qui lui donne une tonalité et un début d'interprétation.

Je retiendrai pour ma part : "Le Temps est un enfant qui joue aux osselets. Royauté de l'enfant". d'Héraclite au VIe s. av. J-C. 

L'excellente facture de ce petit ouvrage, donne envie de découvrir : les paroles indiennes, de la Rome antique, du Japon, de Touaregs, etc.... 

Un livre à garder à portée de la main.



lundi 16 avril 2012

Philippe Grimbert :LA MAUVAISE RENCONTRE, Grasset, 2009


Une belle rencontre pour moi, que cette "Mauvaise rencontre". Rencontre d'un auteur à la faveur d'un échange de livres avec une amie française également installée en Grèce.

Psychanalyste de formation, Philippe Grimbert bâtit son roman autour de la phrase de Lacan : "On ne devient pas psychotique on l'est". Cela peut être ignoré jusqu'à une "mauvaise rencontre". Mais attention, il s'agit bien d'un roman et le sujet n'est dévoilé que peu à peu, avec habileté. L'amitié passionnelle qui lie Mando à Loup, dès leur petite enfance, semble ne devoir souffrir d'aucune entorse, et pourtant.... Par deux fois Loup, le narrateur n'aura pas été à la hauteur de la force du sentiment que lui porte Mando. Puis, un choix divergeant de formation universitaire va éloigner les deux amis, jusqu'au jour où Loup reçoit un appel à l'aide.

"Quel effet croyez-vous que cela fasse de se découvrir étai, prothèse pied de tabouret, quand on se pensait ami unique ? Devenir la mauvaise rencontre, alors qu'on se croyait l'âme soeur ? On verra plus tard, pour le moment il faut agir, et vite."

Une histoire écrite à la première personne, qui vous attrape et ne vous lâche pas. Le portrait de deux enfants que l'on voit grandir, et devenir adultes chacun à sa manière, la découverte d'un secret, les questions que l'on se pose au sujet des êtres aimés, les remords que l'on peut ressentir parfois, c'est tout cela qui m'a intéressée et qui a fait de la lecture de ce livre, un vrai plaisir.

dimanche 8 avril 2012

Kenzaburô Ôé : GIBIER D'ELEVAGE, Gallimard, 1982



A la fin de la deuxième guerre mondiale, un soldat américain est fait prisonnier dans un village retiré de la montagne japonaise. Oui, mais voilà, le soldat et Noir. Ce sont les enfants, et notamment le narrateur, qui sont chargés de le nourrir et de le surveiller.

Ennemi, et de surcroît Noir, donc inconnu, le soldat est considéré comme un animal sauvage à apprivoiser. 

Ce conte, d'une grande cruauté, mais aussi d'une grande simplicité, dénonce sans grand discours mais avec beaucoup d'efficacité, la misère, l'ignorance, et la folie humaine.

"Un gamin du village voulut me contourner pour aller regarder par le soupirail : un coup de pied dans les reins décoché par Bec-de-Lièvre lui arracha des cris de douleur. Bec-de-Lièvre s'était d'ores et déjà arrogé le pouvoir d'accorder ou non le droit de regarder par le soupirail : et il montait une garde jalouse pur interdire à quiconque de porter atteinte à cette prérogative."

Un récit court, cruel et dense qu'on lit d'une traite.

Je découvre avec ce livre un auteur japonais dont j'apprends qu'il a reçu le prix Nobel de littérature. Je connais mal les auteurs japonais, et je dois dire que si son nom m'était resté caché, je n'aurais pas deviné qu'il s'agissait de l'un d'eux, tant le propos est universel. 

Réédité dans la collection Folio 2€ cela me conforte dans la très bonne opinion que j'ai de cette collection qui, décidément, réunit des textes majeurs. 




dimanche 1 avril 2012

Robert Solé : UNE SOIREE AU CAIRE, Seuil, 2010


De retour au Caire pour une "mission"  délicate, Charles séjourne chez sa tante Dina, qui donne une réception à la mode de celles qui y étaient données avant les années 50 dans le milieu très sélect des "Syro-libanais" d'Egypte. 

Le rôle principal de ce roman revient à  la maison de Dina, maison ayant été construite au début du siècle dernier par le patriarche familial, le fameux "roi du tarbouche". Chaque objet, chaque pièce est prétexte au souvenir, à la nostalgie de l'âge d'or, de l'époque où la famille n'était pas encore dispersée aux quatre coins de la planète, de l'époque où Charles était tout simplement enfant, et enfant secrètement amoureux de la trop belle Dina. 

Mais au cours de la soirée, une jeune Egyptienne, rappelle à l'auteur que le passé est le passé et l'invite à regarder le présent et les luttes nécessaires à mener pour réformer ce pays millénaire. Mais Robert Solé n'en est pas encore à imaginer la proximité du "printemps arabe" qui surviendra une année après la publication de ce roman, en grande partie bibliographique.


Bizarrement, ce roman qui a pourtant tout pour me plaire - le thème, le pays, la problématique, le style - ne m'a pas  passionnée,  et ce n'est que dans les toutes dernières pages que j'y ai retrouvé un peu plus d'intérêt, c'est-à-dire une réflexion sur le bien fondé de cette nostalgie, un questionnement sur le besoin d'enjoliver le passé lorsqu'on est en exil. Je ne voudrais pas décourager les futurs lecteurs, car l'atmosphère  qui y règne, les personnages, dressent le portrait d'une Egypte oubliée et bien loin de celle de l'antiquité ou de celle des actualités télévisées.