mardi 7 février 2012

Yasmina Khadra : LES SIRENES DE BAGDAD, Julliard, 2006


Après Les Hirondelles de Kaboul, et L'Attentat, Yamina Khradra reste au  Proche Orient pour continuer de lutter contre l'incompréhension qui caractérise les relations entre l'Occident et cette région si proche et pourtant si mal connue .

L'auteur écrit à la première personne et se met donc dans la peau d'un jeune Bédouin, revenu vivre au village suite à la fermeture de l'université de Bagdad, un jeune qui s'ennuie et que, jusqu'ici, la guerre menée par l'armée américaine n'a que très peu touché. 

"Mais comme le dit le proverbe ancestral, si tu fermes ta porte aux cris de ton voisin, ils te parviendront par la fenêtre.  "

Il ne suffira pas de deux bavures terribles, il faudra que l'honneur de son père soit bafoué, pour qu'il sorte de sa torpeur. 

"J'étais hypnotisé par le spectacle qu'ils m'offraient tous les deux. Je ne voyais même pas les brutes qui les encadraient. Je ne voyais que cette mère éperdue, et ce père efflanqué au slip avachi, au bras ballants, au regard sinistré qui titubait sous les ruades. (...) Mon père tomba à la renverse, son misérable tricot sur la figure, le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui d'un poisson crevé... et je vis, tandis que l'honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu'il ne fallait surtout pas voir, ce qu'un fils digne, respectable, ce qu'un Bédouin authentique ne doit jamais voir - cette chose ramollie, repoussante, avilissante; ce territoire interdit, tu, sacrilège : le pénis de mon père rouler sur le côté, les testicules par-dessus le cul... (...) Un Occidental ne peut pas comprendre, ne peut pas soupçonner l'étendue du désastre. (...) J'étais fini. Tout était fini. Irrécupérable. Irréversible. (...) J'étais "condamné à laver l'affront dans le sang"(...)"

Il se rend à Bagdad et entre dans la spirale infernale. Même s'il va participer à un attentat, le jeune homme n'est en rien mû par des questions religieuses, et Khadra sait à nouveau secouer notre paresse intellectuelle et notre propension à mettre les gens dans des tiroirs, à étiqueter leurs actions, à fonctionner par cliché.

Et puis j'ai retrouvé le style. 

"Badgad se décomposait. Longtemps façonnée dans l'ancrage des répressions, voilà qu'elle se défaisait de ses amarres de suppliciée pour se livrer aux dérives, fascinée par sa colère suicidaire et le vertige des impunités. Le tyran déchu, elle retrouvait intacts ses silences forcés, sa lâcheté revancharde, son mal grandeur nature, et conjurait au forceps ses vieux démons. N'ayant à aucun moment attendri ses bourreaux, elle ne voyait pas comment s'apitoyer sur elle-même maintenant que tous les interdits étaient levés. Elle se désaltérait aux sources de ses blessures, à l'endroit où le bât de l'infamie la marquait : sa rancune.  Grisée par sa souffrance et l'écoeurement qu'elle suscitait, elle se voulait l'incarnation de tout ce qu'elle ne supportait pas, y compris l'image qu'on se faisait d'elle et qu'elle rejetait en bloc; et c'était dans la désespérance la plus crasse qu'elle puisait les ingrédients de son propre martyre.
Cette ville était folle à lier."

Si le thème du roman est principalement le pourquoi et le comment, un jeune Irakien, va entrer dans le cercle, je dirais même la spirale, du terrorisme, c'est aussi et peut-être surtout, une déclaration de foi quant au rôle des intellectuels, de quelque origine qu'ils soient, afin de tenter d'éviter les désastres et les injustices auxquels nous assistons.

En toute fin du livre, l'auteur fait intervenir un écrivain,   (lui-même ?) venant tenter de ramener à la raison un ancien ami ayant basculé dans le camp des intégristes. On y retrouve le thème du dédain de l'Occident pour les intellectuels du Monde Arabe.

J'ai dévoré ce livre, même si par moments, j'ai dû interrompre ma lecture, tant Khadra sait nous interpeller et nous confronter à nos propres fragilités. 

Mais autant laisser la parole à l'auteur :


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire