jeudi 4 août 2011

Jean Teulé : MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ, Juillard, 2009


"Je me suis laissé entraîné." Voilà toute l'explication qu'a pu donner l'un des habitants de Hautefaye, lorsque, en 1870, il passa en jugement devant la cours d'assises de Dordogne, pour avoir participé, 4 mois plus tôt, au massacre d'Alain de Monèys.

Dans "Mangez-le si vous voulez", Jean Teulé reprend ce fait divers et nous raconte par le menu, comment, suite à un méprise, tout un village - bien peu ont essayé de le sauver - tout un village donc, s'est rendu coupable du meurtre d'un de leurs voisins pourtant connu pour ses bienfaits. 

Son récit est d'autant plus efficace que par moment il se place dans la tête du supplicié.

"Il croit vivre un cauchemar. Il cherche autour de lui un visage qui ne serait pas empli de haine. Antony s'est fait happer par le col et a été rejeté en arrière par la foule : "Fous le camp, toi !". Dans la vie d'Alain, il n'est rien arrivé de plus masque et tambour basque. C'est un joli pêle-mêle de ballet turc. Il a beau faire la paix partout : "Mes amis, mes amis !...", il ne reçoit que des insultes. Le public mâchonne sa gloire. Orage de colère et tourbillon d'injures ! Ah, malheur à celui pris dans cet affreux pot... Vaudrait mieux un ours et les jeux de sa patte. Des badines traîtresses lui cinglent les joues. Coups de fouets, cravaches, son habit a maintenant quelque détail blagueur, un bouton manque. Un fil dépasse. D'où vient cette tache ?  - ah ça, mal venue. Un coup d'aiguillon enfonce son canotier sur les yeux. Des gens crient : "Bravo, bien visé !" Il veut remettre son chapeau. On lui arrache. Le canotier vole dans la foule. Ils se le passent, se le disputent, s'en coiffent."

Il n'essaie pas  d'expliquer le phénomène, il se contente de décrire la situation : défaite contre les Prussiens, sècheresse, pauvreté. Il dresse un constat navrant de la bêtise crasse dans laquelle était maintenue la populace, bonne à fournir la chair à canon. 

Mais Jean Teulé semble nous lancer un avertissement : tout pourrait à nouveau recommencer. En effet, alors que six mois après les événements, l'on retrouve le corps d'Anna, une jeune femme du village secrètement amoureuse d'Alain de Monèys, qui s'est vraisemblablement suicidée alors qu'elle était enceinte, voilà la réaction de son oncle :

"Le paysan, pris dans une sorte d'enchantement, en arrive à :

- C'est un lébérou !... Suivant son maléfice, corps enveloppé d'une fourrure, il se sera jeté sur le dos de la petite, l'aura mise enceinte, et aura repris la figure innocente d'un voisin des hameaux. Il faudrait savoir qui c'est - lequel d'entre nous - et lui faire sa fête à celui-là, à ce Prussien ! A coups de bâton, à coups de !.... Ah, moi, je te le !..."

J'aime décidément beaucoup le style et le ton de Jean Teulé. Malgré l'horreur des faits, il ne manque pas d'humour et ne nous fait pas oublier que ceux qui ont commis l'incroyable n'étaient en somme que des humains.

"Mangez ! Mangez, les petits. Ces temps-ci, ce n'est pas tous les jours qu'on peut mettre quelque chose sur votre pain... Soufflez dessus. C'est chaud".

3 commentaires:

  1. Oui, des humains, capables du meilleur... et du pire !

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  2. Terrible ! Je suis beaucoup plus pessimiste que toi : ça recommence... peut-être pas tous les jours, mais souvent, trop souvent. Quelle différence avec ces groupes de jeunes ou moins jeunes qui en tabassent un autre, à la sortie du lycée, ou bien au petit matin devant une boite de nuit, ou encore dans le métro pour un regard mal interprété... Pour moi c'est exactement le même cheminement de "l'esprit"...
    C'est vrai qu'il écrit bien Jean Teulé, mais qu'est-ce que c'est sombre, qu'est-ce que c'est à désespérer de la nature humaine !

    Bonne journée Amartia.

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  3. Oh Jean Teulé, dur, dur, ce n'est pas gai ! Depuis que j'ai lu "darling" j'ai fait une pause pourtant j'aime son écriture mais noir c'est noir !!!
    Je l'ai écouté "aux étonnants voyageurs" et je n'ai pas encore envie de lire son dernier. Peut-être qu'un jour...

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