mardi 30 août 2011

Yasmina Khadra : L'ATTENTAT, Julliard, 2005


Sans jeu de mots, ce roman, vous explose en pleine figure ! Khadra lance son personnage principal à la poursuite de l'incompréhensible : comment une femme, SA femme, pas spécialement pratiquante, peut se transformer en bombe humaine et se faire éclater au milieu d'un groupe d'enfants en plein Tel-Aviv ?

L'auteur n'a pas choisi la facilité, car il se refuse à céder aux schémas préétablis, aux idées toutes faites et à l'enfermement des gens dans des catégories standardisées.
Le JE du roman est un chirurgien palestinien qui a choisi de s'installer à Tel Aviv et de s'intégrer à la vie israélienne au point d'en prendre la nationalité et d'oublier ses origines et surtout d'ignorer la situation de ses compatriotes, de l'autre côté du mur.  Un peu comme si le fait de sauver des vies à longueur de journée, l'en dédouanait. Il faut croire que ce n'est pas le cas de sa femme !

"Le capitaine Moshé et ses assistants me tiennent en éveil vingt-quatre heures d'affilée. Les uns après les autres, il se relaient dans la pièce sordide où se déroule l'interrogatoire. Cela se passe dans une sorte de trou à rat au plafond bas et aux murs insipides, avec une ampoule grillagée au-dessus de ma tête dont le grésillement continu est en passe de me rendre fou. Ma chemise trempée de sueur me ronge le dos avec la voracité d'un bouquet d'orties. J'ai faim, j'ai soif, j'ai mal et nulle part je ne vois le bout du tunnel. On a dû me porter par les aisselles pour m'emmener pisser. J'ai vidé la moitié de ma vessie dans mon caleçon avant que je parvienne à ouvrir la braguette. Pris de nausée, j'ai failli me casser la figure sur le bidet. On m'a carrément traîné en me ramenant dans ma cage. Ensuite, de nouveau le harcèlement, les questions, les coups de poing sur la table, les petites gifles pour m'empêcher de tourner de l'oeil.
Chaque fois que le sommeil fausse mon discernement, on me secoue de la tête aux pieds et on me soumet au zèle d'un officier frais et dispo. Les questions sont toujours les mêmes. Elles résonnent dans mes temps comme de sourdes incantations."

Convaincus de sa non implication dans l'attentat, il est relâché et c'est là qu'il décide de passer le mur, au sens propre et figuré. Il se rend dans les territoires occupés à la recherche des dernières personnes que sa femme a rencontrées, à la recherche de ceux qui l'ont poussée à commettre l'innommable.  

Et là, le roman bascule dans ce qui devient un retour sur soi, une recherche de ses origines, de son identité profonde. Il cherche, non sans mal à approcher des responsables islamistes, des imams au prêche vaindicatif. Il est trimbalé, d'une faction à une autre, menacé de mort, car soupçonné d'être un espion du Shin Beth. Et puis lorsqu'il obtient finalement un entretien :

"(...) - Tu voulais rencontrer un responsble de notre mouvement. C'est fait. Maintenant, tu vas rentrer à Tel-Aviv et tirer une croix sur cette entrevue. Autre chose _ personnellement, je n'ai pas connu ta femme. Elle n'agissait pas sous notre bannière, mais nous avons apprécié son geste.
Il lève sur moi des yeux incandescents.
- Une dernière remarque, docteur. A force de vouloir ressemble à tes frères d'adoption, tu perds le discernement des tiens. Un islamiste est un militant politique. Il n'a qu'une seule ambition : instaurer un Etat théocratique dans son pays et jouir pleinement de sa souveraineté et de son indépendance... Un intégriste est un djihadiste jusqu'au-boutiste. Il ne croit pas à la souveraineté des Etats musulmans ni à leur autonomie. Pour lui, ce sont des Etats vassaux qui seront appelés à se dissoudre au profit d'un seul califat. Cr l'intégriste r'eve d'une ouma une et indivisible qui s'étendrait de l'Indonésie au Maroc pour, à défaut de convertir l'Occident à l'islam, l'assujettir ou le détruire... Nous ne sommes ni des islamistes ni des intégristes, docteur Jaafari. Nous ne sommes que les enfants d'un peuple spolié et bafoué qui se battent avec les moyens du bord pour recouvrer leur patrie et leur dignité, ni plus ni moins.
(...) Quelle vérité tu veu connaître, docteur Amine Jaafari ? Celle de l'Arabe qui pense qu'avec un passeport israélien il est sorti de l'auberge ? Celle du bougnoule de servie par exellence que l'on honore à tout bout de champ et que lon convie à des récepitons huppées pour montrer aux gens combien on est tolérant et attentionné ? Celle de quelqu'un qui, en tournant sa veste, croit retourner sa peau et réussir la plus prfaite des mues ? c'est cette vérité que tu cherches ou est-ce celle-là même que tu fuis ? "
La quête du Dr. Jaafari reste presque jusqu'au bout, une quête personnelle : "Comment a-t-elle pu me trahir ?", mais l'Histoire, celle avec un grand H, le rattrape alors qu'il est dans son village natal.

C'est un très beau roman, qui se lit d'une traite, qui nous raconte différemment une histoire que l'on voit, trop souvent, dans les journaux télévisés.

jeudi 25 août 2011

Louis Aragon : LE COLLABORATEUR et autres nouvelles, Gallimard, 1980



Publiées clandestinement pendant la guerre dans le recueil "Servitudes et grandeurs des Français", Aragon choisit de donner la parole a ceux qui ne sont pas du bon côté. 

Dans Les rencontres il nous raconte le parcours de Julep, journaliste débutant,  qui faute de se faire un nom dans son métier, s'intéresse aux courses de vélo. Bien avant la guerre, au Vel d'Hiv, il fait la connaissance d'Emile, ouvrier communiste, qui le bouscule dans ses convictions, sans pour autant le convaincre. Mais, au fil des années, ils sont amenés à se rencontrer, souvent par hasard, et peu à peu, Julep va prendre conscience de la nécessité de ne "jamais trahir les copains."

"C'est terrible... aussi est-ce raisonnable de faire grève ?" Emile d'abord ne répondit pas. Puis il me regarda bien : "Monsieur Julep, dit, on est pas des Boches.... Raisonnable ? S'agit pas d''etre raisonnable... Faut chasser les Boches... vous vous souvenez de 36 ? Alors, vous m'avez demandé puirquoi je faisais grève... Eh bien ! aujourd'hui non plus on ne peut pas trahir les copains... Et quand un tombe, il faut qu'il y en ait dix autres qui se lèvent". C'était un énorme feldwebel qui passait entre nous, sentant cette odeur paticulière de la soldatesque allemande, avec un de ces visages sans expression dont ils ont le secret. "Ils sont bien habillés", dit Emile, et il parla d'autre chose." 

Dans Le collaborateur, Aragon nous parle de Grégoire Picot, un réparateur de radio, qui a bien du travail, puisque tout le monde écoute la radio anglaise ! Il ne trouve rien à redire à l'occupation allemande. Elle est logique.

"C'était vrai que, dans le quartier, des tas de gens avaient varié d'opinion, depuis le 11 novembre. Grégoire Picot n'était pas comme ça, lui : il ne tournait pas sa veste toutes les cinq minutes. Une occupation, c'est une occupation, ça ne peut pas aller sans inconvénients, il fallait s'y attendre".

Et pourtant, M. Grégoire, lui aussi, changera de camp alors qu'en toute "logique" pourtant, l'armée allemande fait respecter le couvre-feu qu'elle vient d'instaurer dans la petite ville.
Quant à la troisième nouvelle, Le droit romain n'est plus, il nous raconte l'ennui de Fraülein Lotte Müller, secrétaire dans l'armée d'occupation. Elle  officie auprès du commandant Von Lüttwitz-Randau, juge, chargé d'appliquer le nouveau droit germanique. Tout est dans la norme, jusqu'au jour, où Lotte et son commandant se trompent de train...

"Le Commandant n'est pas très drôle, mais on voit du monde au tribunal, des gens qu'on ne verrait pas sans ça. Des Français, des communistes, des assassins. Aussi des soldats à nous, qu'on a pris à faire ce qu'il ne faut pas, les déserteurs. C'est curieux, je déteste les déserteurs, mais ils m'intéressent".

Dans une note écrite en 1964, Aragon écrit : "Il est difficile à l'aueur de relire cette dernière nouvelle, écrite dans la colère d'un temps où les faits parlaient plus haut que le sens humain.(...) Les combattants de la patrie avaient-ils raison dans chaque mot employé ?"

Ce qui est remarquable, justement, c'est que ces trois nouvelles prennent le contre-pied du "politiquement correct" de l'époque. Aragon n'hésite pas à montrer à quel point, de quelque bord qu'il soit, l'homme pris dans l'engrenage de la guerre est d'abord une victime. Il refuse de le juger et reste "sans haine pour le peuple allemand" et pour le collaborateur ou le simple suiveur. 

vendredi 19 août 2011

Joyce Carol Oates : LES FEMELLES, Philippe Rey, 2007


Ce livre est une erreur, il n'aurait jamais dû exister. Quel dommage d'avoir réuni ces nouvelles sous un même titre réducteur. Et parlons-en de ce titre, qui en tout cas, en français, donne un ton très péjoratif et carrément inadéquat puisqu'il s'agit d'êtres humains et non pas d'animaux !  En plus, le lien mis en avant par cette édition serait que dans chacune de ces nouvelles on y retrouverait une "tueuse". Voilà qui fait fi des personnages et du contexte dans lequel, elles sont amenées à exercer, en effet, une violence. 

Prises séparément, chacune de ces nouvelles est intéressante, est habilement structurée, est riche en émotions. On y retrouve le portrait d'une certaine Amérique, chère à Joyce Carol Oates.

Il aurait donc fallu les lire séparément, afin d' en apprécier la qualité de l'écriture, et la finesse des portraits. J'ai particulièrement aimé cette jeune épouse qui se rend compte, petit à petit de la nature réelle des sentiments de son shérif de mari. J'ai ri en suivant Mme G. dans son shopping, même si la fin de ne m'a pas convaincue, j'ai été effarée par le côté retors d'une femme infidèle. Les deux nouvelles mettant en scène d'une part une petite fille, d'autre part, une femme maintenue à l'état d'enfant m'ont moins plu. 

Il y a en tout neuf nouvelles, parues entre 2001 et 2004. Je vous les recommande, mais de grâce, une à la fois !

lundi 15 août 2011

Romain Gary : LES TRESORS DE LA MER ROUGE, Gallimard, 1971


Les trésors que Romain Gary a ramené de son voyage à Djibouti, en Somalie et au Yemen, ce sont des rencontres et "les manifestations soudaines et émouvantes de l'âme humaine."

Rencontres à Djibouti de militaires ayant vécu la défaite de l'empire colonial français à Dien Bien Phu et en Algérie.

"- Tu verras ici l'armée de l'Empire mort. A l'état d'échantillon. Elle se rend en quelque sorte les derniers honneurs. Une espèce de musée... Trois milles hommes, mais tout y est... Il ne manque que le père de Foucauld. Nous mettons ici le point final à l'ère des empires coloniaux et nous veillons à ce que ce point soit lumineux...
Vous me direz : nous avons déjà entendu cette chanson. Que le colonialisme ait été un échec, pour le constater, il suffit de parcourir l'Afrique indépendante : tout ce qui ici n'arrive pas à naître, à reconstruire, c'est notre œuvre. Si le colonialisme avait été une entreprise digne de la civilisation, il n'y aurait pas eu en Afrique, aujourd'hui, cet effort désespéré de bâtir sur des fondements qui ne furent jamais posés."

Rencontre d'une prostituée dont le corps porte le tatouage des noms des hommes qui l'ont utilisée.

Rencontre du portrait de Mao, portrait apporté de Paris, par un "assistant technique",  jeune instituteur qui "essaie de sortir les enfants du néant".


Rencontres.... Rencontres.... jusqu'à celle d'une petite fille dans les yeux de laquelle il voit "toute l'histoire de l'Arabie, tout ce qui demeure vivant et invincible, là où la mort et le temps croient avoir fait leur œuvre d'oubli".

Mais avant tout, Romain Gary se rencontre lui-même.

"Jamais encore je n'avais éprouvé à ce point le sentiment de n'être personne, c'est-à-dire d'être enfin quelqu'un... L'habitude de n'être que soi-même finit par nous priver totalement du reste du monde, de tous les autres; "je", c'est la fin des possibilités..."

Ce récit d'une centaine de pages vient d'être réédité par Gallimard dans la collection Folio 2€, collection que j'apprécie beaucoup car elle met en valeur des textes courts, souvent oubliés, d'auteurs importants.  Je ne connaissais en fait, qu'Emile Ajar, mais la fulgurance, la puissance et l'intelligence de ce "reportage", m'ont donné envie de découvrir les autres écrits de Romain Gary. Je ne peux pas terminer ce billet, sans souligner la beauté de son style.
"J'ai erré ainsi pendant trois jours aux abords du Royaume du néant, d'où montait vers moi, aux approches du couchant, une marée mauve, rose et or, et je ne saurai jamais si cette houle de sable qui semblait esquisser vers le ciel des envols aussitôt frappés d'interdit, avait vraiment cette couleur rouge brique ou si c'était le soleil qui mourrait ainsi."

samedi 13 août 2011

Yasmina Khadra : L'OLYMPE DES INFORTUNES, Julliard, 2010


Dans ce roman, Yasmina Khadra change d'univers et nous entraîne sur un terrain vague où vivent les Horr, "des clodos qui se respectent" et qui par goût de la liberté, rejettent la société urbaine. A travers le portrait de quelques-uns d'entre eux il dessine une société qui se veut paradisiaque parce qu'elle refuse l'argent et la possession.
"L'argent est la plus vilaine des vacheries. Quand tu le sers, il te dérobe les yeux; et quand il te sert, il te confisque le cœur".

On y retrouve cependant les rapports de pouvoir, le besoin de domination des plus forts et le besoin de protection des plus faibles et cet ordre des choses n'est pas remis en question.

"- Le Pacha est dans un sale état. Il ne veut voir personne.
- Il est chiant comme la mort, ajoute Dib.
Aït Cétéra sourcille, offusqué. Il jette un oeil affolé en direction de la guitoune.
- Tu parles du Pacha, je te signale.
- Raison de plus, persiste Dib. Si c'était quelqu'un d'autre, je passerais l'éponge. Mais il s'agit du patron. Il devrait faire montre de retenue. Chialer, à son âge, lui, le coriace des coriaces ?... C'est à gerber jusqu'à rendre son lait maternel.
- Il a du chagrin, lui souffle Aït Cétéra.
- N'empêche, il est le boss. Et un boss, quand ça souffre, ça doit rester classe...
- Pourquoi tu vas pas le lui dire en face ? le défie Aït Cétéra.
- Parce qu'on n'est pas en démocratie, avec lui. Il sait rien faire d'autre que cogner et brailler. Moi, j'aurais aimé qu'il se tienne droit dans le malheur. Au moins, de cette façon, quand je m'écrase devant lui, j'aurai pas le sentiment d'être une crotte... ".

Le personnage principal, Ach, a pris sous sa protection Junior, un sans-abri un peu simple d'esprit, à qui il se fait fort de transmettre sa vision du monde. 
"- Nous vivons pour nous-mêmes, et ça nous suffit.
- On se débrouille seuls comme des grands, Ach.
- Et on est où Junior ?
- On est chez nous.
- On est ici... Ici, sur la terre des Horr. Ici, où tout est permis, où rien n'est interdit... Et ici, tu n'est pas roi, tu n'es pas soldat, tu n'est pas valet; ici, tu es Toi."

La vie sur la décharge pourrait continuer de même, si un jour, un ange ? un prophète ? dieu lui-même ? ne venait rappeler à Ach, que s'il aime vraiment ce Junior, il doit lui permettre de tenter sa chance et ne pas lui imposer son propre besoin de compagnie.....

Bon, voilà ! Je vous en ai assez dit ! J'ai été très déçue par ce livre car tout au long de la lecture, je me suis demandée où Yasmina Khadra voulait en venir. Même si la vision manichéenne du monde véhiculée par Ach est en quelque sorte remise en question à la fin du livre, j'ai tout le temps eu l'impression d'une "philosophie" à bon marché, d'idées toutes faites, de critiques de notre société du niveau d'une discussion de bistrot. Même les surnoms adoptés par les protagonistes sont trop faciles !

La seule chose qui le sauve est la langue, toujours aussi belle de Yasmina Khadra :

"Une vague plus grosse que les précédentes arrive de très loin, dans un roulement mécanique spectaculaire, domine le large au point de cacher l'horizon et se met à déferler lourdement sur le rivage. On dirait une interminable muraille mouvante déterminée à raser tout sur son passage. Elle monte, monte, engrossée de fiel et de vertige. Soudain, elle se dégonfle à quelques brasses de la crique et s'affaisse lamentablement, semblable à la montagne accouchant d'une souris. Dans un ultime soubresaut d'orgueil, elle tente de se reprendre en main, happe Haroun au passage, le soulève si haut qu'il lui échappe de la crête et tombe sur les rochers. Lorsqu'elle se retire, bredouille et ridicule, le naufragé reste accroché au récif, disloqué et sonné, et ne remue plus. D'autres vagues rappliquent pour le reprendre, giclent furieusement dans les anfractuosités et ne parviennent qu'à l'éclabousser par endroits."

Si vous n'avez pas encore lu "un Khadra", ne commencez en tout cas pas avec celui-là; vous vous feriez une fausse idée de son talent et de l'importance des choses qu'il a à nous dire.

dimanche 7 août 2011

Antonio Skármeta : UNE ARDENTE PATIENCE, Seuil, 1987


Bien sûr, en entamant ce livre, j'avais en mémoire les merveilleuses images du film Il postino de Michael Radford. On connaît tous l'histoire de l'amitié nouée entre Pablo Neruda et son postier "privé", de la recherche désespérée de ce dernier des fameuses métaphores propres à séduire la belle Beatriz  et de l'aide que le poète lui apporte dans ce but.  J'avais adoré le film, apprécié, comme toujours, Philippe Noiret dans un rôle qui lui allait comme un gant (oups une métaphore ou un lieu commun ?) et découvert Massimo Troisi, dont le jeu donnait corps avec délicatesse à ce personnage hors du commun.

Mais quel plaisir de lire le roman ! Quel plaisir de retrouver ces dialogues tout en finesse et quelle surprise de constater que la rencontre n'a pas lieu en Italie, mais bien au Chili, entre l'accession au pouvoir d'Allende et la chute de ce dernier après le coup d'état de 1973. Et de ce fait, la fin de l'histoire est beaucoup plus intéressante et permet à Antonio Skármenta de lier le destin de ses protagonistes à celui de son pays.

Bien sûr la phrase qui reste en mémoire est celle que profère le postier lorsque Neruda découvre qu'il a utilisé ses propres vers pour séduire Béatriz :

"La poésie n’appartient pas à celui qui l’écrit, mais à celui qui s’en sert."

Mais je garderai aussi le passage qui explique le titre du roman :

« Voici exactement cent ans, un poète pauvre et splendide, le plus atroce des désespérés, écrivait cette prophétie : "À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. " » « Je crois en cette prophétie de Rimbaud, le voyant. Je viens d’une obscure province, d’un pays séparé des autres par un coup de ciseaux de la géographie. J’ai été le plus abandonné des poètes et ma poésie a été régionale, faite de douleur et de pluie. Mais j’ai toujours eu confiance en l’homme. Je n’ai jamais perdu l’espérance. Voilà pourquoi je suis ici avec ma poésie et mon drapeau. En conclusion, je veux dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que l’avenir tout entier a été exprimé dans cette phrase de Rimbaud ; ce ne sera qu’avec une ardente patience que nous conquerrons la ville splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes. Et ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain. »


Antonio Skármeta a réussi là, un petit chef d'œuvre d'humanité d'amitié et... de poésie.

samedi 6 août 2011

Jean Teulé : CHARLY 9, Julliard, 2011


A la lecture du titre, on comprend aisément que Jean Teulé n'a pas voulu faire œuvre d'historien pour nous raconter le drame de ce roi-là. Il y a même de la sympathie de sa part, dans ce diminutif et ce numéro qui renonce aux chiffres romains. 

Si le nom de Charles IX nous est connu, c'est bien sûr, à cause du massacre de la St Barthélémy, mais un massacre dont Jean Teulé "l'absout", non pas en catholique fanatique, mais parce qu'il en fait reposer l'entière responsabilité sur Catherine de Médicis et son entourage et surtout, parce que ce roi calamiteux ne s'en est jamais remis et qu'il en est devenu fou. 


C'est cette descente aux enfers qui nous est contée, non sans humour, ma foi. Des hallucinations acoustiques - Charly entend continuellement les cris des suppliciés - aux visuelles -   du sang coule de tout ce qu'il touche - en passant par les parties de chasses aux lapins et même au cerf à l'intérieur même du palais du Louvre, rien ne lui est épargné. 

Édouard Debat-Ponsan, 1880

Se méfiant de tous, il ne trouvera de réconfort qu'auprès de sa nourrice et de sa maîtresse. Mais rongé par les remords et atteint d'une maladie, ou d'un empoisonnement par sa propre mère - qui lui fait transpirer le sang, il meurt une année après le massacre, en 1572, alors qu'il n'a que 23 ans.

Ce qui frappe - et c'est assez rare pour le souligner, c'est que Jean Teulé traite ce sujet, sans aucune allégeance, comme si ce Charles IX n'était qu'un quidam comme vous et moi. Il ne cherche ni à la défendre, ni à l'accabler, ni surtout à sauver une certaine idée de la fonction royale.  Finalement il nous raconte l'histoire d'un type qui joue de malchance et qui n'avait pas demandé à naître roi.

Le style est toujours truculent et la recherche des jurons de l'époque est à relever. Mais je n'ai pas retrouvé le souffle de "Je Villon" ou de "Mangez-le si vous le voulez". On se perd parfois dans le rappel de l'origine du muguet du premier mai ou du poisson d'avril et le rythme s'en trouve cassé. Mais de là à déconseiller ce roman... il y a un pas que je ne franchirai pas.

jeudi 4 août 2011

Jean Teulé : MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ, Juillard, 2009


"Je me suis laissé entraîné." Voilà toute l'explication qu'a pu donner l'un des habitants de Hautefaye, lorsque, en 1870, il passa en jugement devant la cours d'assises de Dordogne, pour avoir participé, 4 mois plus tôt, au massacre d'Alain de Monèys.

Dans "Mangez-le si vous voulez", Jean Teulé reprend ce fait divers et nous raconte par le menu, comment, suite à un méprise, tout un village - bien peu ont essayé de le sauver - tout un village donc, s'est rendu coupable du meurtre d'un de leurs voisins pourtant connu pour ses bienfaits. 

Son récit est d'autant plus efficace que par moment il se place dans la tête du supplicié.

"Il croit vivre un cauchemar. Il cherche autour de lui un visage qui ne serait pas empli de haine. Antony s'est fait happer par le col et a été rejeté en arrière par la foule : "Fous le camp, toi !". Dans la vie d'Alain, il n'est rien arrivé de plus masque et tambour basque. C'est un joli pêle-mêle de ballet turc. Il a beau faire la paix partout : "Mes amis, mes amis !...", il ne reçoit que des insultes. Le public mâchonne sa gloire. Orage de colère et tourbillon d'injures ! Ah, malheur à celui pris dans cet affreux pot... Vaudrait mieux un ours et les jeux de sa patte. Des badines traîtresses lui cinglent les joues. Coups de fouets, cravaches, son habit a maintenant quelque détail blagueur, un bouton manque. Un fil dépasse. D'où vient cette tache ?  - ah ça, mal venue. Un coup d'aiguillon enfonce son canotier sur les yeux. Des gens crient : "Bravo, bien visé !" Il veut remettre son chapeau. On lui arrache. Le canotier vole dans la foule. Ils se le passent, se le disputent, s'en coiffent."

Il n'essaie pas  d'expliquer le phénomène, il se contente de décrire la situation : défaite contre les Prussiens, sècheresse, pauvreté. Il dresse un constat navrant de la bêtise crasse dans laquelle était maintenue la populace, bonne à fournir la chair à canon. 

Mais Jean Teulé semble nous lancer un avertissement : tout pourrait à nouveau recommencer. En effet, alors que six mois après les événements, l'on retrouve le corps d'Anna, une jeune femme du village secrètement amoureuse d'Alain de Monèys, qui s'est vraisemblablement suicidée alors qu'elle était enceinte, voilà la réaction de son oncle :

"Le paysan, pris dans une sorte d'enchantement, en arrive à :

- C'est un lébérou !... Suivant son maléfice, corps enveloppé d'une fourrure, il se sera jeté sur le dos de la petite, l'aura mise enceinte, et aura repris la figure innocente d'un voisin des hameaux. Il faudrait savoir qui c'est - lequel d'entre nous - et lui faire sa fête à celui-là, à ce Prussien ! A coups de bâton, à coups de !.... Ah, moi, je te le !..."

J'aime décidément beaucoup le style et le ton de Jean Teulé. Malgré l'horreur des faits, il ne manque pas d'humour et ne nous fait pas oublier que ceux qui ont commis l'incroyable n'étaient en somme que des humains.

"Mangez ! Mangez, les petits. Ces temps-ci, ce n'est pas tous les jours qu'on peut mettre quelque chose sur votre pain... Soufflez dessus. C'est chaud".

lundi 1 août 2011

Maxence Fermine : AMAZONE, Albin Michel, 2004


Entre Fitzcarraldo et Novecento, Maxence Fermine, nous conte l'histoire du seul Noir de toute l'Amazone qui joue sur un piano blanc, à la dérive sur le Rio Négro, aux confins de la Colombie et du Vénézuella, perdu dans la forêt amazonienne.

Echoué au milieu de nulle-part - "ce n'était pas à proprement parler une tarvene, juste un amas de planches rongées par l'humidiét, brûlées par le soleil, et qui tenait debout par miracle." - il perd son piano au jeu mais gagne l'amitié du barman et du patron. 

Ce n'est que lorsque le "messager" qu'il attendait l'aura retrouvé qu'il révélera à ses nouveaux compagnons la raison de son errance et de la promesse qu'il a faite à sa femme décédée trois ans auparavant.

"Autour de lui s'installa un lourd silence. Pas un homme n'osait proférer la moindre parole, ni même esquisser le moindre mouvement. Le colonel, les lèvres figées en un rictus partagé entre l'étonnement et l'incrédulité, ne savait que dire. Cerveza et Da Silva étaient au bord des larmes. Quant à l'Indien, il était si ému qu'il n'arrivait pas à soutenir le regard de ses compagnons de table.
- C'est la plus belle histoire que j'aie jamais entendue ! s'exclama Da Silva.
Et Cerveza de conclure :
- Je ne savais pas qu'un piano blanc pouvait devenir une preuve d'amour".
Et l'odyssée se poursuit et amène Amazone Steinway à transporter son piano jusqu'au village d'Esmeralda, sur le Cassiquiare.

"Conjuguant leurs efforts, les huit Indiens faisaient tourner le cylindre à l'aide des croisillons de bois. Un tour, un deuxième, un troisième enfin et ils récupéreraient quelques secondes en exhalant l'air de leurs poumons. Les veines saillantes de leurs bras et leurs visages congestionnés démontraient toute la difficulté que requérait un tel exercice. (...) Pourtant, en dépit de toutes ces difficultés, le piano s'élevait dans les airs. Et Amazone Steinway, imperturbable, jouait. Il ne savait s'il faisait cette chose incongrue - jouer de la musique en gravissant une chute d'eau - pour Carmen, pour les Indiens ou pour lui-même, mais il se prêtait au jeu et s'en sortait admirablement." 

Maxence Fermine
On ne peut s'empêcher de penser à Fitzcarraldo, mais on est bien loin de la furie de Klaus Kinski interprétant le rôle de l'amateur d'opéra. Non, le ton, le rythme, la poésie de Maxence Fermine, nous font glisser sur ce fleuve au rythme d'un blues, même si, pour atteindre son but, le pianiste devra céder à la folie.

S'il fait partie de jeunes auteurs contemporains à succès,  Maxence Fermine, s'en distingue par un style très personnel, tout en finesse et légèreté. Il se lit facilement et il parvient  dans chacun de ses romans, à créer une atmosphère profondément poétique. A lire absolument.