En 1939, Henry Miller fuit
la France et la guerre et part pour la Grèce, où il rencontre notamment Georges Séféris. Miller lui voue une admiration et une amitié sans borne et lui adresse
les notes qu'il a prises tout au long de son périple d'Hydra à Spetsai,
d'Héraklion à la Canée, de Corfou à Zante, de Mycènes à Épidaure...
C'est une collection de
billets, écrits sur le vif ou repris à tête reposée, sur son émerveillement, non
seulement devant les vestiges de l'Antiquité, mais aussi et même surtout, face
aux Grecs eux-mêmes, avec leurs générosité, leur drôlerie, leurs ruses et j'en
passe.
"Il (Minos)
représentait l'art, la paix, le travail, la joie, le bien-être. La joie ! C'est
cette qualité qu'exhale Cnossos, en dépit de ses tristes ruines. Et aujourd'hui
encore, sur les visages des Crétois resplendit une lumière que je n'ai vue
nulle part ailleurs en Grèce pour le moment. Leur regard est plein, brillant,
sans peur ni malice. Ils n'ont pas l'âme mesquine. Ils vous observent
par-dessous leur turban noir, comme devaient le faire les païens de
l'Antiquité. Les souffrances et les privations endurées au cours des siècles
n'ont pas assombri ces yeux clairs et honnêtes."
On sourit parfois à
certaines naïvetés quant à l'avenir de ce pays :
"Dans vingt ans, le
pays sera méconnaissable. Il s'adapte à son époque avec un entrain presque
japonais. Les habitants des îles s'habituent à tout. Ce sont ceux de plateaux
les conservateurs. Où en sera la Grèce à la fin de la guerre ? Déjà, les hommes
politiques prévoient l'appauvrissement des pays riches. La Grèce est pauvre.
Elle est tout en bas de l'échelle. Je songe à nouveau aux Japonais. Et pourquoi
les Grecs ne les imiteraient.ils pas ? Si un jour leur population atteint les
vingt ou trente millions, il se passera quelque chose de fantastique. Leur
curiosité est sans limites, leur énergie inépuisable. Il pourrait se produire
une nouvelle guerre du Péloponnèse, au cours de laquelle la Grèce deviendrait
une grande puissance et régnerait sur les Balkans. Quoi qu'il en soit, la
situation progresse. Seul un tremblement de terre pourrait mettre fin à cet
élan sans faille".
La langue est magique bien
sûr, le verbe fort et l'émotion évidente.
"Aujourd'hui,
dimanche, j'ai vu un phénomène miraculeux : la lumière qui habite les arbres.
Elle perce littéralement le feuillage, créant un voile vert, vaporeux, un halo
d'énergie, qui est l'aura même de l'arbre. Son âme est alors dévoilée. Les arbres
sont baignés de sacré, de la pureté de leur propre essence. La séparation entre
l'âme et le corps devient alors parfaitement distincte. C'est à vous rendre
fou. Et plus encore au regard de l'austérité de la terre, du gris rosé, de la
forme légèrement tibétaine de versants. Il n'y a plus de feuilles, il ne reste
que des buissons verts et ivres, vivifiés par le vent."
En relisant le "Colosse
de Maroussi", j'avais été déçue, par rapport à la première impression que
le livre m'avait faite alors que je ne connaissais pas la Grèce. Déçue surtout
parce qu'Henry Miller me semblait y être préoccupé plus par son
"nombril" que par ce qu'il vivait et découvrait. Avec ces notes - qui
ont précédé l'écriture du "Colosse" - j'ai retrouvé le Miller que j'aimais.
Et est-ce parce qu'il s'adresse à Séféris ? il fait même preuve de modestie, à
sa manière :
"Tout cela est fort
peu orthodoxe et peut-être typiquement américain. C'est aussi la preuve de la
révérence que j'éprouve envers le véritable esprit grec. Je refuse les dates et
les explications des savants. Je préfère inventer ma propre histoire de la
Grèce, une histoire qui puisse correspondre aux merveilles incompréhensibles
que j'ai vues de mes yeux."
"Aujourd'hui, dimanche, j'ai vu un phénomène miraculeux : la lumière qui habite les arbres. Elle perce littéralement le feuillage, créant un voile vert, vaporeux, un halo d'énergie, qui est l'aura même de l'arbre. Son âme est alors dévoilée. Les arbres sont baignés de sacré, de la pureté de leur propre essence. La séparation entre l'âme et le corps devient alors parfaitement distincte. C'est à vous rendre fou."
RépondreSupprimerJe trouve ces phrases vraiment très belles, il y a très longtmeps que je n'avais plus pensé à Henry Miller et, encore moins, lu quelque chose de lui...
Merci à toi de me le remettre en mémoire.
AH ! Sur la même longueur d'onde que Norma, ce qui ne vous étonnera ni l'une ni l'autre ! Ce texte sur la lumière, j'aurais voulu l'écrire. Et je pardonne volontiers tout ce que je reproche à cet écrivain - grand mais que je n'aime guère - pour avoir si bien transcrit ce que j'ai ressenti dans les champs d'oliviers, ou les forêts de pins ...
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