mardi 27 décembre 2011

Carlos Ruiz Zafon : LE PRINCE DE LA BRUME, Robert Laffont, 2011


Un livre comme ceux que j'aimais lire lorsque j'étais petite : de jeunes héros, de l'amitié, des mystères, des énigmes, des personnages inquiétants et fantastiques. Il y a longtemps que je n'en ai pas lu, et je me rends compte que j'aime toujours autant la fraîcheur et la naïveté de ces écrits de et pour la jeunesse.

Il faut dire que Carlos Ruiz Zafon excelle dans l'art de la mise en place des personnages et dans celui de nous tenir en haleine par un "scenario" bien ficelé. 

Il s'agit de son premier roman publié, en 1992, dans une édition destinée aux adolescents. On y retrouve déjà les prémisses de tout ce qui m'a ravie à la lecture de L'ombre du vent. 

"Avant de plonger, il échangea un dernier regard avec Alicia. Sur le visage de sa soeur se lisait clairement la lutte entre la volonté de sauver Roland et la panique de voir son frère connaître le même sort. Avant que le bon sens ne les en dissuade tous les deux, Max s'enfonça das les eaux cristallines de la baie. Sous ses pieds, la coque de l'Orphéus s'étendait jusqu'à ce que la vision se trouble. "

Un très bon moment de lecture. 

mardi 6 décembre 2011

Aravind Adiga : LE TIGRE BLANC, Buchet/Chastel, 2008


Balram Halway, dit le Tigre Blanc, écrit pendant sept nuits d'affilée une longue lettre au premier ministre chinois qui va venir en visite officielle en Inde. D'emblée il pose le ton :

"De nos jours il n'y a plus que deux castes : les gros ventres et les ventres creux. Et deux destins : manger ou être mangé".

On n'est pas surnommé le Tigre Blanc pour rien et c'est donc le destin de manger que Balram a choisi. Il expose patiemment, comment, de petit garçon intelligent, mais ne pouvant terminer son école, il devient, petit à petit, l'entrepreneur de sa propre vie, sans rien cacher des sacrifices et des terribles décisions qu'il a dû prendre.

C'est une description terrible et sans concession de ce pays fait du contraste entre les Ténèbres de la misère et la Lumière de la société High Tech. Mais l'auteur, Aravind Adiga, va plus loin et dénonce la système même qui permet le maintien de ces deux castes : celui de la "cage à poules".

"Faites-vous conduire à Old Delhi, derrière la Jama Masjid, et observez comment est confinée la volaille. Des centaines de poules blanchâtres et de coqs bariolés, parqués dans des cages en treillis, aussi entassés que des vers dans un intestin, se béquettent, se chient dessus et se bousculent pour avoir un peu d'air. Sur le comptoir de bois, au-dessus de la cage, un jeune boucher souriant exhibe la chair et les entrailles d'un pulet tout juste évidé et maculé de sang sombre. Dessous, ses congénères sentent l'odeur du sang. Ils voient les boyaux de leur frère. Ils savent que leur tour approche. Pourtant, ils ne se rebellent pas. Ils ne cherchent pas à fuir la cage. 
Dans ce pays, on procède de la même manière avec les êtres humains. (...) 
La grande Cage à poules indienne. Avez-vous l'équivalent en Chine ? J'en doute, monsieur Jiabao. Sinon, vous n'auriez pas besoin du parti communiste pour éliminer les individus, ni d'une police secrète pour opérer des rafles nocturnes dans les maisons et mettre leurs habitants en prison; c'est du moins ce qu'on raconte. Ici, en Inde, nous n'avons pas de dictature. Ni de police secrète.
C'est parce que nous avons la Cage à poules."


C'est un roman passionnant, loin des images d'Epinal de "l'Inde éternelle". De la corruption en passant par le trucage des élections, de l'extrême richesse côtoyant le pire des dénuements,  le tableau que dresse le Tigre blanc à l'attention de son correspondant Chinois, ne correspond certainement pas à ce que le protocole Indien a prévu pour l'accueillir :

"(...)des guirlandes, des statuettes-souvenir de Gandhi en bois de santal et une brochure d'informations sur le passé, le présent et le futur de l'Inde".

Un premier roman, plus que prometteur et qui donne envie de suivre cet auteur. Vivement la traduction de son livre suivant : "Last man in tower".

vendredi 11 novembre 2011

Douglas Kennedy : LES CHARMES DISCRETS DE LA VIE CONJUGALE, Belfond, 2005

Depuis "Cul se sac", je profite de toutes les occasions pour suivre cet auteur dont j'apprécie l'esprit, non dénué d'humour et parfois même d'ironie.

Ce roman-ci n'échappe pas à la "patte" Douglas Kennedy. On y retrouve une fresque sociale de l'Amérique contemporaine, mais cette fois-ci, non pas du côté des traders du "Désarroi de Ned Allen", mais de la gauche post guerre du Viet Nam. 

Le roman nous raconte la vie d'Hannah Buchan, entre deux voyages à Paris. Le premier, auquel elle renonce, à l'âge de vingt ans, de peur de perdre son fiancé étudiant en médecine lui promettant une vie rangée et tranquille, le deuxième, la cinquantaine bien entamée, mais après avoir vu s'écrouler toutes ses certitudes. 

La première partie m'a paru souffrir de quelques longueurs. En revanche, dès qu'il s'agit de faire éclater la crise, Douglas Kennedy entraîne son héroïne, et nous avec, dans le tourbillon d'une descente aux enfers, et dans une critique acerbe de l'Amérique des néo-chrétiens de l'ère G. W. Bush. 

"Le vrai problème, c'était l'homme assis en face de moi à ce dîner. Mon mari durant les trente dernières années. L'inconnu avec lequel j'avais décidé de passer ma vie. Et puis, dans mon sac rangé sous ma chaise de restaurant, il y avait le détonateur : une copie de l'article qui allait être mis en ligne sur Internet le lendemain et exiger une sérieuse explication, au grand minimum. Si l'on me laisse la possibilité de la donner, bien entendu. Et puis il y a un autre problème : le deuxième homme installé de l'autre côté de la table ce soir-là, mon psychorigide de fils qui ne considérait le monde qu'en noir et blanc, en bien et en mal. Quel déchirement, de constater que l'enfant que vous avez élevé, auquel vous avez toujours souhaité le meilleur de la vie, ne partage rien de commun avec vous ! Toutes ces années pour en arriver à cette déchirure, alors qu'il n'y avait pas eu une seule crise précise, circonstanciée, un seul point de rupture qui pouvait expliquer un tel fossé entre nous... Et ça me stupéfiait."

Un bon roman, agréable à lire, mais pas le meilleur de cet auteur.

mercredi 26 octobre 2011

David Sedaris : JE SUIS TRES A CHEVAL SUR LES PRINCIPIES, Ed. de l'Olivier, 2009


Un livre laissé par un de mes hôtes et dont la quatrième de couverture promet "un concentré d'humour scabreux et de situations désopilantes".  Je m'y suis donc lancée avec enthousiasme, pensant passer un bon moment sur la plage.
Et bien ! Voilà, près d'un mois que je le traîne ! Après une ou deux pages, je m'ennuie, je suis distraite, ou... je le laisse tomber sur l'oreiller et je m'endors.

Vingt petites histoires, autobiographiques on le suppose, mais qui n'arrivent pas à dresser le portrait de cet auteur. Vingt petites histoires, pas spécialement intéressantes, pas spécialement drôles. Vingt petites histoires, qui même si elles figuraient dans un blog, ne saurait retenir le lecteur. Alors, les publier ? On est bien loin de la littérature, et tout autant du sketch, la chute n'étant pas toujours au rendez-vous. 

La seule phrase qui m'ait fait rire c'est celle que j'ai citée dans mon autre blog. Elle appartient à la dernière partie du livre, qui nous conte, à nouveau en une kyrielle d'anecdotes, le mois que Sedaris a passé au Japon, pour s'empêcher de tourner en rond lorsqu'il a décidé d'arrêter de fumer.

La seule chose positive que je retiendrai, c'est que l'homosexualité du protagoniste, pour une fois, n'est pas du tout le sujet du livre, et si elle est mentionnée, ce n'est que parce qu'il se trouve qu'il partage sa vie avec un autre homme. 

Je suis certainement passée à côté de cet auteur, même si sa grand-mère grecque et sa façon de jeter ses déchets par la fenêtre de la voiture, me rappelle forcément quelque chose !

lundi 26 septembre 2011

Arnaldur Indridason : HYPOTHERMIE, Métailié, 2010


Je lis très peu de polars et connais donc mal ce genre. C'est donc tout à fait par hasard que je suis tombée sur ce livre, que je n'ai pas écarté d'emblée, à cause de l'origine de l'auteur, l'Islande.

En parcourant le net je m'aperçois qu'Arnaldur Indridason est un auteur renommé de romans policiers et que le héros d'Hypothermie, semble être le commissaire fétiche de ses précédents livres. 

Bien que l'enquête ait conclu à un suicide, la mort de Maria, retrouvée pendue dans le chalet d'été de la famille ne semble plus si claire au commissaire Erlendur, depuis qu'il a écouté la cassette que la meilleure amie de Maria lui a fait parvenir. Il s'agit de l'enregistrement de l'entretien que cette dernière a eu avec un médium peu après la mort de sa mère.

Extrêmement bien construit, Hypothermie nous emmène dans la recherche de la "vérité" sur la vie après la mort, que ce soit au moyen de médiums ou d'expériences médicales, pas très légales. Mais l'auteur ne se borne pas à dérouler le fil du suspens - bien gardé jusqu'au bout de l'enquête - il mêle également les propres sentiments et motivations du commissaire qui a, lui aussi, perdu un être cher. 

C'est un bon livre, qui nous tient en haleine,  mais décidément, je n'arrive pas à m'enthousiasmer pour un polar.

samedi 17 septembre 2011

Lyonel Trouillot : LES ENFANTS DES HEROS, Actes Sud, 2002


Terrible histoire que celle que raconte Lyonel Trouillot dans ce livre-ci.  Deux enfants des bidonvilles de Port au Prince s'enfuient de chez eux après avoir tué leur père. 

C'est le gamin qui parle. C'est avec sa vision à lui que l'on découvre, petit à petit, comment Mariéla, sa sœur de 16 ans, en arrive à frapper, frapper ce géant de boxeur (raté) qui ne leur sert pas de père.

Lumineuse histoire aussi, car c'est à travers les yeux du petit que l'on découvre la famille, les amis et surtout, surtout, l'amour indéfectible, mélange d'admiration et de besoin de protection,  qui le lie à sa sœur.


"Le rideau tiré, Mariéla se couchait la première, sur le dos, les bras repliés sous sa nuque. Elle regardait le plafond, ou au-delà, vers les étoiles. Et je la regardais. Dès qu'on rentrait dans la maison, elle devenait mon paysage. Puis je la rejoignais. Nous faisions le compte-rendu de la journée et répétions nos rêves. Nous les préparions toujours la veille, dans le noir. On ne peut pas faire confiance au sommeil. Des fois, le sommeil n'offre rien, avare comme une terre sèche. Il existe des nuits chiches qui n'attirent pas les rêves. Nous préparions les nôtres avant de nous laisser tromper par le sommeil."

Cette cavale durera trois jours avant qu'ils ne soient arrêtés et séparés. Trois jours de complicité, de souvenirs, de doutes, de questions : "Mais si c'est pas une chose qui s'est passée toute seule, si c'est sa mort que nous voulions, nous sommes peut-être des assassins ?"


Un livre fort et prenant, loin des images toutes faites que l'on peut avoir sur Haïti et sa misère. Un livre profond plein d'espoir tant la candeur du gosse porte en elle la force de la confiance qu'il a envers cette fille qui a su dire non. 

Je découvre cet auteur et je suis sûre d'y revenir.

lundi 12 septembre 2011

Alain Claude Sulzer : UN GARCON PARFAIT, Actes Sud, 2008

Premier roman de cet auteur traduit en français, il fut pour moi la découverte d'Alain Claude Sulzer, auteur Suisse allemand, né à Bâle en 1953.

Ernst est serveur dans un grand hôtel des bords du lac de Brienz, et a une parfaite maîtrise de son métier, qu'il pratique en artiste perfectionniste. Cela donne à Sulzer l'occasion de revisiter ces lieux de résidence réservés à une population privilégiée, souvent étrangère, et de rappeler les règles en vigueur qui régissaient - et régissent certainement encore - les relations entre le personnel et les clients des hôtels de luxe.

"Il était recommandé de traité les clients qui voyageaient seuls avec une prévenance particulière, ne serait-ce que parce qu'ils donnaient les meilleurs pourboires. Contrairement aux couples qui, pendant la journée, étaient occupés à surveiller leurs enfants, les solitaires avaient tendance à bavarder avec le personnel, on échangeait des paroles aimables dans les couloirs, dans la spacieuse cage d'escalier circulaire, le matin sur la terrasse, l'après-midi au jardin. Comme il 'était pas rare que les conversations s'éternisent, il fallait ensuite se dépêcher de finir ses autres tâches, sans avoir l'air de se presser, ni donner l'impression aux clients qu'ils vous avaient fait perdre votre temps. (...)
Un h0chement de tête ou le léger détournement du corps suffisaient à signaler que le client souhaitait mettre fin à la conversation.  C'était alors à l'employé de réagir de façon conséquente, ni précipitée ni trop mesurée. Tout cela, on l'apprenait par l'expérience et l'empathie, après les premiers faux pas d'usage. C'était à chacun de développer un juste instinct des désir du clients."

Grand Hôtel de Giessbach, hôtel dans lequel l'auteur situe son roman

Lorsque le 15 septembre 1966, Ernst reçoit une lettre de New York, il ne l'ouvre pas tout de suite, il tente de se préserver, mais quoiqu'il fasse, son passé qui n'a cessé de le hanter sourdement,  remonte à la surface et chaque détail, chaque moment partagé avec Jacob est ravivé. Et Sulzer nous raconte l'histoire d'une passion folle, d'une passion interdite, secrète, discrète mais.... peut-être pas partagée.

"Ernest ne s'était pas attendu à cela. Au cours d'une promenade au bord du lac, c'était un dimanche après-midi de juillet, presque deux mois jour pour jour après son arrivée à Giessbach, Jacob avait sans prévenir passé son bras gauche autour de l'épaule d'Ernest et embrassé celui-ci en marchant. (...) Jacob n'embrassait pas Ernest comme un frère, il ne l'embrassait pas comme on embrasse son père ou sa mère. Il l'embrassait comme le ferait un amant, sans gêne et sans crainte, avec une certaine maladresse aussi car il n'avait probablement pas eu souvent l'0ccasion de s'entraîner à le faire."

Plaçant la rencontre des deux amants au moment de la montée en puissance de Hitler, il introduit le contexte politique de l'époque en la personne de Julius Klinger, écrivain allemand, qui se réfugie à Giessbach  après sa dénonciation du nouveau régime.

"Aux yeux des émigrés qui, à son arrivée, se tenaient dans le hall de l'hôtel et l'applaudissaient, il représentait les vraies valeurs de ce pays qu'ils avaient dû quitter à contrecœur. Il ne s'était laissé impressionner ni par les flatteries de la part du régime ni pas les tentatives de faire pression sur lui".

Mais si l'arrivée de Kingler rassure ses compatriotes sur la justesse de leur choix, elle marque aussi le début de la trahison amoureuse de Jacob.

C'est un roman magnifique, profond et dense mais qui, de par la qualité du style délié et précis, se lit d'une traite et nous réserve jusqu'à la fin des surprises quant aux caractères des personnages. 

A lire, absolument.
Ce livre a reçu le prix Médicis étranger et cette fois-ci, je trouve ce prix totalement mérité.

jeudi 8 septembre 2011

David Foenkinos : LA DELICATESSE, 2009


Une histoire banale, peut-être trop (?), mais racontée avec délicatesse, justement. Et cela fait toute la différence. 

On se prend de sympathie pour Nathalie, qui, après avoir vécu le parfait amour avec son mari rencontré par hasard, se retrouve veuve, incapable de renouer avec la réalité, et surtout de se permettre une nouvelle vie sentimentale.

Les relations entre les personnes sont traitées de manière légère, les réactions des individus, parfois inattendues et on prend du plaisir à lire ce roman de David Foenkinos.


De là, à recevoir autant de prix littéraires ... 

jeudi 1 septembre 2011

Mathias Enard : PARLE-LEUR DE BATAILLES, DE ROIS ET D'ELEPHANTS, Actes Sud, 2010


La récente découverte de l'esquisse d'un pont au dessus de la Corne d'Or, esquisse signée de Michel-Ange, est certainement  à l'origine de ce roman, très spécial.

Par petites touches, Mathias Enard nous conte le séjour de l'artiste dans la capitale de l'empire Ottoman et cela lui donne l'occasion de nous parler de batailles (et de rivalités), de rois (et plus particulièrement d'un sultan et d'un pape) et d'éléphants (ceux que Michel-Ange dessine tout en cherchant l'inspiration).  

Il y est question du rapport aux puissants ("Turcs ou romains les puissants nous avilissent"), mais aussi du rapport de l'artiste à sa création : de la nécessité, pour ce dernier, de s'imprégner de l'atmosphère de la ville, de ressentir, de divaguer, pour arriver à concevoir, à visualiser ce pont que lui a commandé le sultan Bazajet II. 

"En retraversant la Corne d'Or, Michel-ange a la vision de son pont, flottant dans le soleil du matin, si vrai qu'il en a les larmes aux yeux. L'édifice sera colossal sans être imposant, fin et puissant. Comme si la soirée lui avait dessillé les paupières et transmis sa certitude, le dessin lui apparaît enfin.
Il rentre presque en courant poser cette idée sur le papier, traits de plume, ombres au blanc, rehauts de rouge.
Un pont surgi de la nuit, pétri de la matière de la ville".

Et puis, il y a l'amour. L'amour de Michel-Ange pour une chanteuse et surtout l'amour inavoué du poète Mesihi pour le génie.
"Dissimulé par les embarcations, Mesihi s'est vite retourné. Il ne souhaite pas observer plus longtemps, il n'y a plus rien à voir : des rames sombres qui frappent les flots obscurs, une voile carrée dont la blancheur ne parvient pas à déchirer la nuit.
Il va aller se perdre dans les rues de la ville, se perdre dans les bouges de Tahtakale; pour tout souvenir de Michel-Ange, il garde le dessin d'un éléphant, et surtout, dans un repli de son vêtement, la dgue noire et or qui lui brûle à présent de ventre comme si elle était chauffée à blanc."
Si j'ai dit que je trouvais ce roman spécial, c'est que le style de Mathias Enard, dépouillé, presque froid, ne correspond pas à la force des sentiments et à la passion qui anime les protagonistes. Quand je dis qu'il "peint" cette histoire par petites touches, ces dernières sont tellement légères, tellement éthérées qu'elles manquent de corps, je devrais dire de chair. 

J'ai eu plus l'impression de lire une construction intellectuelle, certes excessivement bien montée, mais pas un roman dont le sujet se serait imposé à l'auteur.

mardi 30 août 2011

Yasmina Khadra : L'ATTENTAT, Julliard, 2005


Sans jeu de mots, ce roman, vous explose en pleine figure ! Khadra lance son personnage principal à la poursuite de l'incompréhensible : comment une femme, SA femme, pas spécialement pratiquante, peut se transformer en bombe humaine et se faire éclater au milieu d'un groupe d'enfants en plein Tel-Aviv ?

L'auteur n'a pas choisi la facilité, car il se refuse à céder aux schémas préétablis, aux idées toutes faites et à l'enfermement des gens dans des catégories standardisées.
Le JE du roman est un chirurgien palestinien qui a choisi de s'installer à Tel Aviv et de s'intégrer à la vie israélienne au point d'en prendre la nationalité et d'oublier ses origines et surtout d'ignorer la situation de ses compatriotes, de l'autre côté du mur.  Un peu comme si le fait de sauver des vies à longueur de journée, l'en dédouanait. Il faut croire que ce n'est pas le cas de sa femme !

"Le capitaine Moshé et ses assistants me tiennent en éveil vingt-quatre heures d'affilée. Les uns après les autres, il se relaient dans la pièce sordide où se déroule l'interrogatoire. Cela se passe dans une sorte de trou à rat au plafond bas et aux murs insipides, avec une ampoule grillagée au-dessus de ma tête dont le grésillement continu est en passe de me rendre fou. Ma chemise trempée de sueur me ronge le dos avec la voracité d'un bouquet d'orties. J'ai faim, j'ai soif, j'ai mal et nulle part je ne vois le bout du tunnel. On a dû me porter par les aisselles pour m'emmener pisser. J'ai vidé la moitié de ma vessie dans mon caleçon avant que je parvienne à ouvrir la braguette. Pris de nausée, j'ai failli me casser la figure sur le bidet. On m'a carrément traîné en me ramenant dans ma cage. Ensuite, de nouveau le harcèlement, les questions, les coups de poing sur la table, les petites gifles pour m'empêcher de tourner de l'oeil.
Chaque fois que le sommeil fausse mon discernement, on me secoue de la tête aux pieds et on me soumet au zèle d'un officier frais et dispo. Les questions sont toujours les mêmes. Elles résonnent dans mes temps comme de sourdes incantations."

Convaincus de sa non implication dans l'attentat, il est relâché et c'est là qu'il décide de passer le mur, au sens propre et figuré. Il se rend dans les territoires occupés à la recherche des dernières personnes que sa femme a rencontrées, à la recherche de ceux qui l'ont poussée à commettre l'innommable.  

Et là, le roman bascule dans ce qui devient un retour sur soi, une recherche de ses origines, de son identité profonde. Il cherche, non sans mal à approcher des responsables islamistes, des imams au prêche vaindicatif. Il est trimbalé, d'une faction à une autre, menacé de mort, car soupçonné d'être un espion du Shin Beth. Et puis lorsqu'il obtient finalement un entretien :

"(...) - Tu voulais rencontrer un responsble de notre mouvement. C'est fait. Maintenant, tu vas rentrer à Tel-Aviv et tirer une croix sur cette entrevue. Autre chose _ personnellement, je n'ai pas connu ta femme. Elle n'agissait pas sous notre bannière, mais nous avons apprécié son geste.
Il lève sur moi des yeux incandescents.
- Une dernière remarque, docteur. A force de vouloir ressemble à tes frères d'adoption, tu perds le discernement des tiens. Un islamiste est un militant politique. Il n'a qu'une seule ambition : instaurer un Etat théocratique dans son pays et jouir pleinement de sa souveraineté et de son indépendance... Un intégriste est un djihadiste jusqu'au-boutiste. Il ne croit pas à la souveraineté des Etats musulmans ni à leur autonomie. Pour lui, ce sont des Etats vassaux qui seront appelés à se dissoudre au profit d'un seul califat. Cr l'intégriste r'eve d'une ouma une et indivisible qui s'étendrait de l'Indonésie au Maroc pour, à défaut de convertir l'Occident à l'islam, l'assujettir ou le détruire... Nous ne sommes ni des islamistes ni des intégristes, docteur Jaafari. Nous ne sommes que les enfants d'un peuple spolié et bafoué qui se battent avec les moyens du bord pour recouvrer leur patrie et leur dignité, ni plus ni moins.
(...) Quelle vérité tu veu connaître, docteur Amine Jaafari ? Celle de l'Arabe qui pense qu'avec un passeport israélien il est sorti de l'auberge ? Celle du bougnoule de servie par exellence que l'on honore à tout bout de champ et que lon convie à des récepitons huppées pour montrer aux gens combien on est tolérant et attentionné ? Celle de quelqu'un qui, en tournant sa veste, croit retourner sa peau et réussir la plus prfaite des mues ? c'est cette vérité que tu cherches ou est-ce celle-là même que tu fuis ? "
La quête du Dr. Jaafari reste presque jusqu'au bout, une quête personnelle : "Comment a-t-elle pu me trahir ?", mais l'Histoire, celle avec un grand H, le rattrape alors qu'il est dans son village natal.

C'est un très beau roman, qui se lit d'une traite, qui nous raconte différemment une histoire que l'on voit, trop souvent, dans les journaux télévisés.

jeudi 25 août 2011

Louis Aragon : LE COLLABORATEUR et autres nouvelles, Gallimard, 1980



Publiées clandestinement pendant la guerre dans le recueil "Servitudes et grandeurs des Français", Aragon choisit de donner la parole a ceux qui ne sont pas du bon côté. 

Dans Les rencontres il nous raconte le parcours de Julep, journaliste débutant,  qui faute de se faire un nom dans son métier, s'intéresse aux courses de vélo. Bien avant la guerre, au Vel d'Hiv, il fait la connaissance d'Emile, ouvrier communiste, qui le bouscule dans ses convictions, sans pour autant le convaincre. Mais, au fil des années, ils sont amenés à se rencontrer, souvent par hasard, et peu à peu, Julep va prendre conscience de la nécessité de ne "jamais trahir les copains."

"C'est terrible... aussi est-ce raisonnable de faire grève ?" Emile d'abord ne répondit pas. Puis il me regarda bien : "Monsieur Julep, dit, on est pas des Boches.... Raisonnable ? S'agit pas d''etre raisonnable... Faut chasser les Boches... vous vous souvenez de 36 ? Alors, vous m'avez demandé puirquoi je faisais grève... Eh bien ! aujourd'hui non plus on ne peut pas trahir les copains... Et quand un tombe, il faut qu'il y en ait dix autres qui se lèvent". C'était un énorme feldwebel qui passait entre nous, sentant cette odeur paticulière de la soldatesque allemande, avec un de ces visages sans expression dont ils ont le secret. "Ils sont bien habillés", dit Emile, et il parla d'autre chose." 

Dans Le collaborateur, Aragon nous parle de Grégoire Picot, un réparateur de radio, qui a bien du travail, puisque tout le monde écoute la radio anglaise ! Il ne trouve rien à redire à l'occupation allemande. Elle est logique.

"C'était vrai que, dans le quartier, des tas de gens avaient varié d'opinion, depuis le 11 novembre. Grégoire Picot n'était pas comme ça, lui : il ne tournait pas sa veste toutes les cinq minutes. Une occupation, c'est une occupation, ça ne peut pas aller sans inconvénients, il fallait s'y attendre".

Et pourtant, M. Grégoire, lui aussi, changera de camp alors qu'en toute "logique" pourtant, l'armée allemande fait respecter le couvre-feu qu'elle vient d'instaurer dans la petite ville.
Quant à la troisième nouvelle, Le droit romain n'est plus, il nous raconte l'ennui de Fraülein Lotte Müller, secrétaire dans l'armée d'occupation. Elle  officie auprès du commandant Von Lüttwitz-Randau, juge, chargé d'appliquer le nouveau droit germanique. Tout est dans la norme, jusqu'au jour, où Lotte et son commandant se trompent de train...

"Le Commandant n'est pas très drôle, mais on voit du monde au tribunal, des gens qu'on ne verrait pas sans ça. Des Français, des communistes, des assassins. Aussi des soldats à nous, qu'on a pris à faire ce qu'il ne faut pas, les déserteurs. C'est curieux, je déteste les déserteurs, mais ils m'intéressent".

Dans une note écrite en 1964, Aragon écrit : "Il est difficile à l'aueur de relire cette dernière nouvelle, écrite dans la colère d'un temps où les faits parlaient plus haut que le sens humain.(...) Les combattants de la patrie avaient-ils raison dans chaque mot employé ?"

Ce qui est remarquable, justement, c'est que ces trois nouvelles prennent le contre-pied du "politiquement correct" de l'époque. Aragon n'hésite pas à montrer à quel point, de quelque bord qu'il soit, l'homme pris dans l'engrenage de la guerre est d'abord une victime. Il refuse de le juger et reste "sans haine pour le peuple allemand" et pour le collaborateur ou le simple suiveur. 

vendredi 19 août 2011

Joyce Carol Oates : LES FEMELLES, Philippe Rey, 2007


Ce livre est une erreur, il n'aurait jamais dû exister. Quel dommage d'avoir réuni ces nouvelles sous un même titre réducteur. Et parlons-en de ce titre, qui en tout cas, en français, donne un ton très péjoratif et carrément inadéquat puisqu'il s'agit d'êtres humains et non pas d'animaux !  En plus, le lien mis en avant par cette édition serait que dans chacune de ces nouvelles on y retrouverait une "tueuse". Voilà qui fait fi des personnages et du contexte dans lequel, elles sont amenées à exercer, en effet, une violence. 

Prises séparément, chacune de ces nouvelles est intéressante, est habilement structurée, est riche en émotions. On y retrouve le portrait d'une certaine Amérique, chère à Joyce Carol Oates.

Il aurait donc fallu les lire séparément, afin d' en apprécier la qualité de l'écriture, et la finesse des portraits. J'ai particulièrement aimé cette jeune épouse qui se rend compte, petit à petit de la nature réelle des sentiments de son shérif de mari. J'ai ri en suivant Mme G. dans son shopping, même si la fin de ne m'a pas convaincue, j'ai été effarée par le côté retors d'une femme infidèle. Les deux nouvelles mettant en scène d'une part une petite fille, d'autre part, une femme maintenue à l'état d'enfant m'ont moins plu. 

Il y a en tout neuf nouvelles, parues entre 2001 et 2004. Je vous les recommande, mais de grâce, une à la fois !

lundi 15 août 2011

Romain Gary : LES TRESORS DE LA MER ROUGE, Gallimard, 1971


Les trésors que Romain Gary a ramené de son voyage à Djibouti, en Somalie et au Yemen, ce sont des rencontres et "les manifestations soudaines et émouvantes de l'âme humaine."

Rencontres à Djibouti de militaires ayant vécu la défaite de l'empire colonial français à Dien Bien Phu et en Algérie.

"- Tu verras ici l'armée de l'Empire mort. A l'état d'échantillon. Elle se rend en quelque sorte les derniers honneurs. Une espèce de musée... Trois milles hommes, mais tout y est... Il ne manque que le père de Foucauld. Nous mettons ici le point final à l'ère des empires coloniaux et nous veillons à ce que ce point soit lumineux...
Vous me direz : nous avons déjà entendu cette chanson. Que le colonialisme ait été un échec, pour le constater, il suffit de parcourir l'Afrique indépendante : tout ce qui ici n'arrive pas à naître, à reconstruire, c'est notre œuvre. Si le colonialisme avait été une entreprise digne de la civilisation, il n'y aurait pas eu en Afrique, aujourd'hui, cet effort désespéré de bâtir sur des fondements qui ne furent jamais posés."

Rencontre d'une prostituée dont le corps porte le tatouage des noms des hommes qui l'ont utilisée.

Rencontre du portrait de Mao, portrait apporté de Paris, par un "assistant technique",  jeune instituteur qui "essaie de sortir les enfants du néant".


Rencontres.... Rencontres.... jusqu'à celle d'une petite fille dans les yeux de laquelle il voit "toute l'histoire de l'Arabie, tout ce qui demeure vivant et invincible, là où la mort et le temps croient avoir fait leur œuvre d'oubli".

Mais avant tout, Romain Gary se rencontre lui-même.

"Jamais encore je n'avais éprouvé à ce point le sentiment de n'être personne, c'est-à-dire d'être enfin quelqu'un... L'habitude de n'être que soi-même finit par nous priver totalement du reste du monde, de tous les autres; "je", c'est la fin des possibilités..."

Ce récit d'une centaine de pages vient d'être réédité par Gallimard dans la collection Folio 2€, collection que j'apprécie beaucoup car elle met en valeur des textes courts, souvent oubliés, d'auteurs importants.  Je ne connaissais en fait, qu'Emile Ajar, mais la fulgurance, la puissance et l'intelligence de ce "reportage", m'ont donné envie de découvrir les autres écrits de Romain Gary. Je ne peux pas terminer ce billet, sans souligner la beauté de son style.
"J'ai erré ainsi pendant trois jours aux abords du Royaume du néant, d'où montait vers moi, aux approches du couchant, une marée mauve, rose et or, et je ne saurai jamais si cette houle de sable qui semblait esquisser vers le ciel des envols aussitôt frappés d'interdit, avait vraiment cette couleur rouge brique ou si c'était le soleil qui mourrait ainsi."

samedi 13 août 2011

Yasmina Khadra : L'OLYMPE DES INFORTUNES, Julliard, 2010


Dans ce roman, Yasmina Khadra change d'univers et nous entraîne sur un terrain vague où vivent les Horr, "des clodos qui se respectent" et qui par goût de la liberté, rejettent la société urbaine. A travers le portrait de quelques-uns d'entre eux il dessine une société qui se veut paradisiaque parce qu'elle refuse l'argent et la possession.
"L'argent est la plus vilaine des vacheries. Quand tu le sers, il te dérobe les yeux; et quand il te sert, il te confisque le cœur".

On y retrouve cependant les rapports de pouvoir, le besoin de domination des plus forts et le besoin de protection des plus faibles et cet ordre des choses n'est pas remis en question.

"- Le Pacha est dans un sale état. Il ne veut voir personne.
- Il est chiant comme la mort, ajoute Dib.
Aït Cétéra sourcille, offusqué. Il jette un oeil affolé en direction de la guitoune.
- Tu parles du Pacha, je te signale.
- Raison de plus, persiste Dib. Si c'était quelqu'un d'autre, je passerais l'éponge. Mais il s'agit du patron. Il devrait faire montre de retenue. Chialer, à son âge, lui, le coriace des coriaces ?... C'est à gerber jusqu'à rendre son lait maternel.
- Il a du chagrin, lui souffle Aït Cétéra.
- N'empêche, il est le boss. Et un boss, quand ça souffre, ça doit rester classe...
- Pourquoi tu vas pas le lui dire en face ? le défie Aït Cétéra.
- Parce qu'on n'est pas en démocratie, avec lui. Il sait rien faire d'autre que cogner et brailler. Moi, j'aurais aimé qu'il se tienne droit dans le malheur. Au moins, de cette façon, quand je m'écrase devant lui, j'aurai pas le sentiment d'être une crotte... ".

Le personnage principal, Ach, a pris sous sa protection Junior, un sans-abri un peu simple d'esprit, à qui il se fait fort de transmettre sa vision du monde. 
"- Nous vivons pour nous-mêmes, et ça nous suffit.
- On se débrouille seuls comme des grands, Ach.
- Et on est où Junior ?
- On est chez nous.
- On est ici... Ici, sur la terre des Horr. Ici, où tout est permis, où rien n'est interdit... Et ici, tu n'est pas roi, tu n'es pas soldat, tu n'est pas valet; ici, tu es Toi."

La vie sur la décharge pourrait continuer de même, si un jour, un ange ? un prophète ? dieu lui-même ? ne venait rappeler à Ach, que s'il aime vraiment ce Junior, il doit lui permettre de tenter sa chance et ne pas lui imposer son propre besoin de compagnie.....

Bon, voilà ! Je vous en ai assez dit ! J'ai été très déçue par ce livre car tout au long de la lecture, je me suis demandée où Yasmina Khadra voulait en venir. Même si la vision manichéenne du monde véhiculée par Ach est en quelque sorte remise en question à la fin du livre, j'ai tout le temps eu l'impression d'une "philosophie" à bon marché, d'idées toutes faites, de critiques de notre société du niveau d'une discussion de bistrot. Même les surnoms adoptés par les protagonistes sont trop faciles !

La seule chose qui le sauve est la langue, toujours aussi belle de Yasmina Khadra :

"Une vague plus grosse que les précédentes arrive de très loin, dans un roulement mécanique spectaculaire, domine le large au point de cacher l'horizon et se met à déferler lourdement sur le rivage. On dirait une interminable muraille mouvante déterminée à raser tout sur son passage. Elle monte, monte, engrossée de fiel et de vertige. Soudain, elle se dégonfle à quelques brasses de la crique et s'affaisse lamentablement, semblable à la montagne accouchant d'une souris. Dans un ultime soubresaut d'orgueil, elle tente de se reprendre en main, happe Haroun au passage, le soulève si haut qu'il lui échappe de la crête et tombe sur les rochers. Lorsqu'elle se retire, bredouille et ridicule, le naufragé reste accroché au récif, disloqué et sonné, et ne remue plus. D'autres vagues rappliquent pour le reprendre, giclent furieusement dans les anfractuosités et ne parviennent qu'à l'éclabousser par endroits."

Si vous n'avez pas encore lu "un Khadra", ne commencez en tout cas pas avec celui-là; vous vous feriez une fausse idée de son talent et de l'importance des choses qu'il a à nous dire.

dimanche 7 août 2011

Antonio Skármeta : UNE ARDENTE PATIENCE, Seuil, 1987


Bien sûr, en entamant ce livre, j'avais en mémoire les merveilleuses images du film Il postino de Michael Radford. On connaît tous l'histoire de l'amitié nouée entre Pablo Neruda et son postier "privé", de la recherche désespérée de ce dernier des fameuses métaphores propres à séduire la belle Beatriz  et de l'aide que le poète lui apporte dans ce but.  J'avais adoré le film, apprécié, comme toujours, Philippe Noiret dans un rôle qui lui allait comme un gant (oups une métaphore ou un lieu commun ?) et découvert Massimo Troisi, dont le jeu donnait corps avec délicatesse à ce personnage hors du commun.

Mais quel plaisir de lire le roman ! Quel plaisir de retrouver ces dialogues tout en finesse et quelle surprise de constater que la rencontre n'a pas lieu en Italie, mais bien au Chili, entre l'accession au pouvoir d'Allende et la chute de ce dernier après le coup d'état de 1973. Et de ce fait, la fin de l'histoire est beaucoup plus intéressante et permet à Antonio Skármenta de lier le destin de ses protagonistes à celui de son pays.

Bien sûr la phrase qui reste en mémoire est celle que profère le postier lorsque Neruda découvre qu'il a utilisé ses propres vers pour séduire Béatriz :

"La poésie n’appartient pas à celui qui l’écrit, mais à celui qui s’en sert."

Mais je garderai aussi le passage qui explique le titre du roman :

« Voici exactement cent ans, un poète pauvre et splendide, le plus atroce des désespérés, écrivait cette prophétie : "À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. " » « Je crois en cette prophétie de Rimbaud, le voyant. Je viens d’une obscure province, d’un pays séparé des autres par un coup de ciseaux de la géographie. J’ai été le plus abandonné des poètes et ma poésie a été régionale, faite de douleur et de pluie. Mais j’ai toujours eu confiance en l’homme. Je n’ai jamais perdu l’espérance. Voilà pourquoi je suis ici avec ma poésie et mon drapeau. En conclusion, je veux dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que l’avenir tout entier a été exprimé dans cette phrase de Rimbaud ; ce ne sera qu’avec une ardente patience que nous conquerrons la ville splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes. Et ainsi la poésie n’aura pas chanté en vain. »


Antonio Skármeta a réussi là, un petit chef d'œuvre d'humanité d'amitié et... de poésie.

samedi 6 août 2011

Jean Teulé : CHARLY 9, Julliard, 2011


A la lecture du titre, on comprend aisément que Jean Teulé n'a pas voulu faire œuvre d'historien pour nous raconter le drame de ce roi-là. Il y a même de la sympathie de sa part, dans ce diminutif et ce numéro qui renonce aux chiffres romains. 

Si le nom de Charles IX nous est connu, c'est bien sûr, à cause du massacre de la St Barthélémy, mais un massacre dont Jean Teulé "l'absout", non pas en catholique fanatique, mais parce qu'il en fait reposer l'entière responsabilité sur Catherine de Médicis et son entourage et surtout, parce que ce roi calamiteux ne s'en est jamais remis et qu'il en est devenu fou. 


C'est cette descente aux enfers qui nous est contée, non sans humour, ma foi. Des hallucinations acoustiques - Charly entend continuellement les cris des suppliciés - aux visuelles -   du sang coule de tout ce qu'il touche - en passant par les parties de chasses aux lapins et même au cerf à l'intérieur même du palais du Louvre, rien ne lui est épargné. 

Édouard Debat-Ponsan, 1880

Se méfiant de tous, il ne trouvera de réconfort qu'auprès de sa nourrice et de sa maîtresse. Mais rongé par les remords et atteint d'une maladie, ou d'un empoisonnement par sa propre mère - qui lui fait transpirer le sang, il meurt une année après le massacre, en 1572, alors qu'il n'a que 23 ans.

Ce qui frappe - et c'est assez rare pour le souligner, c'est que Jean Teulé traite ce sujet, sans aucune allégeance, comme si ce Charles IX n'était qu'un quidam comme vous et moi. Il ne cherche ni à la défendre, ni à l'accabler, ni surtout à sauver une certaine idée de la fonction royale.  Finalement il nous raconte l'histoire d'un type qui joue de malchance et qui n'avait pas demandé à naître roi.

Le style est toujours truculent et la recherche des jurons de l'époque est à relever. Mais je n'ai pas retrouvé le souffle de "Je Villon" ou de "Mangez-le si vous le voulez". On se perd parfois dans le rappel de l'origine du muguet du premier mai ou du poisson d'avril et le rythme s'en trouve cassé. Mais de là à déconseiller ce roman... il y a un pas que je ne franchirai pas.

jeudi 4 août 2011

Jean Teulé : MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ, Juillard, 2009


"Je me suis laissé entraîné." Voilà toute l'explication qu'a pu donner l'un des habitants de Hautefaye, lorsque, en 1870, il passa en jugement devant la cours d'assises de Dordogne, pour avoir participé, 4 mois plus tôt, au massacre d'Alain de Monèys.

Dans "Mangez-le si vous voulez", Jean Teulé reprend ce fait divers et nous raconte par le menu, comment, suite à un méprise, tout un village - bien peu ont essayé de le sauver - tout un village donc, s'est rendu coupable du meurtre d'un de leurs voisins pourtant connu pour ses bienfaits. 

Son récit est d'autant plus efficace que par moment il se place dans la tête du supplicié.

"Il croit vivre un cauchemar. Il cherche autour de lui un visage qui ne serait pas empli de haine. Antony s'est fait happer par le col et a été rejeté en arrière par la foule : "Fous le camp, toi !". Dans la vie d'Alain, il n'est rien arrivé de plus masque et tambour basque. C'est un joli pêle-mêle de ballet turc. Il a beau faire la paix partout : "Mes amis, mes amis !...", il ne reçoit que des insultes. Le public mâchonne sa gloire. Orage de colère et tourbillon d'injures ! Ah, malheur à celui pris dans cet affreux pot... Vaudrait mieux un ours et les jeux de sa patte. Des badines traîtresses lui cinglent les joues. Coups de fouets, cravaches, son habit a maintenant quelque détail blagueur, un bouton manque. Un fil dépasse. D'où vient cette tache ?  - ah ça, mal venue. Un coup d'aiguillon enfonce son canotier sur les yeux. Des gens crient : "Bravo, bien visé !" Il veut remettre son chapeau. On lui arrache. Le canotier vole dans la foule. Ils se le passent, se le disputent, s'en coiffent."

Il n'essaie pas  d'expliquer le phénomène, il se contente de décrire la situation : défaite contre les Prussiens, sècheresse, pauvreté. Il dresse un constat navrant de la bêtise crasse dans laquelle était maintenue la populace, bonne à fournir la chair à canon. 

Mais Jean Teulé semble nous lancer un avertissement : tout pourrait à nouveau recommencer. En effet, alors que six mois après les événements, l'on retrouve le corps d'Anna, une jeune femme du village secrètement amoureuse d'Alain de Monèys, qui s'est vraisemblablement suicidée alors qu'elle était enceinte, voilà la réaction de son oncle :

"Le paysan, pris dans une sorte d'enchantement, en arrive à :

- C'est un lébérou !... Suivant son maléfice, corps enveloppé d'une fourrure, il se sera jeté sur le dos de la petite, l'aura mise enceinte, et aura repris la figure innocente d'un voisin des hameaux. Il faudrait savoir qui c'est - lequel d'entre nous - et lui faire sa fête à celui-là, à ce Prussien ! A coups de bâton, à coups de !.... Ah, moi, je te le !..."

J'aime décidément beaucoup le style et le ton de Jean Teulé. Malgré l'horreur des faits, il ne manque pas d'humour et ne nous fait pas oublier que ceux qui ont commis l'incroyable n'étaient en somme que des humains.

"Mangez ! Mangez, les petits. Ces temps-ci, ce n'est pas tous les jours qu'on peut mettre quelque chose sur votre pain... Soufflez dessus. C'est chaud".