lundi 27 septembre 2010

Martin Suter : LE CUISINIER, Ed. Bourgeois, 2010


Une amie Suisse, de passage à Nauplie, m'a offert le dernier livre de Martin Suter, auteur Suisse, lui aussi, que je découvre à cette occasion. C'est donc avec intérêt que je me suis lancée dans la lecture de ce septième roman. 

Un jeune réfugié tamoul travaille comme aide de cuisine dans un restaurant "nouvelle cuisine" de Suisse allemande et s'il se contente d'officier comme petite main, c'est que, rentré chez lui, il expérimente les recettes ayurvédiques transmises par sa tante, façon cuisine moléculaire. 

"L'essentiel, dans ce repas, c'étaient les entremets : une série d'aphrodisiaques ayurvédiques qui avaient fait leur preuve, mais accommodés avec autant d'audace que d'innovation. Au lieu de faire sécher au four et par portions toute la purée de petits haricots urad en gelée de lait surcé, il en mélangea la moitié avec de l'agar-agar. Il déposa les deux moitiés sur des planches de silicone et les découpa en rubans. Il fit sécher dans le four la moitié dépourvue d'agar-agar et la tordit, encore chaude, en forme de spirales. Il laissa refroidir l'autre moitié et glissa les feuilles élastiques dans les spirales devenues croustillantes." 

Malgré ses scrupules moraux, et pour venir en aide à sa famille restée au Sri Lanka, il accepte la proposition d'une ancienne collègue, de se mettre à leur compte et de préparer des repas aphrodisiaques pour la jet set. C'est ainsi qu'il va croiser des golden boys de la finance zurichoise, des marchands d'armes et des trafiquants en col blanc de tous bords. Il est très vite la proie des représentants des Tigres tamouls, qui le rackettent au nom de la solidarité et de la lutte pour l'indépendance. Les affaires marchent bien jusqu'au jour où il comprend que leur principal client est justement un des hommes qui fournit des armes au gouvernement du Sri Lanka. 

dimanche 19 septembre 2010

Claudie Gallay : DANS L'OR DU TEMPS, Ed. du Rouergue, Babel 2006


J'ai poursuivi ma découverte de Claudie Gallay par la lecture de "Dans l'or du temps", dont le titre fait référence à l'épitaphe qui figure sur la tombe d'André Breton : "Je cherche l'or du temps". André Breton, le pape (et le mot n'est pas trop fort) des Surréalistes, dont j'ai dévoré les livres entre 15 et 17 ans – mais que j'ai trouvé illisible et bien vieilli, lorsque j'ai repris "Nadja", il y a quelque temps. Le portrait que l'auteure en fait n'est d'ailleurs pas dépourvu d'une certaine distance critique, notamment en ce qui concerne le pillage des kachinas hopis, par les intellectuels et artistes français exilés en Amérique durant la deuxième guerre mondiale. 


Le roman semble avoir pour point de départ la fascination des surréalistes pour la philosophie hopie, pour qui, l'univers n'est pas seulement celui du visible, mais tout autant celui de l'imaginaire et de l'invisible. Mais comme il ne s'agit ni d'un manifeste, ni d'une étude ethnologique, Claudie Gallay bâtit un vrai roman, dans lequel cette rencontre inégale entre deux cultures, est dévoilée par petites touches. 

Un jeune homme, en vacances avec femmes et enfants, en Normandie, rencontre par hasard une voisine âgée. Cette dernière, fille de Victor Berthier, photographe du cercle des surréalistes en exil, a, en 1945, accompagné son père dans les villages hopis de l'Arizona.


"Des gosses les attendent. Ils veulent leur vendre des arcs de cérémonies, des bâtons de prière auxquels ils ont accroché des plumes. De dinde ou de moineau ? Des pahos à touristes. Breton n'en veut pas. 
Les enfants s'éloignent et puis ils reviennent. Avec d'autres bâtons. Ils disent que les plumes de ces pahos-là sont des plumes d'aigle sacré. Breton ne les croit pas. 
Elisa rit. Elle leur donne des bonbons. 

Berthier achète quand même un pahos pour pouvoir continuer à prendre des photos sans être trop inquiété. 
Breton quitte le groupe. Il a vu une jeune femme assise sur le devant de sa maison. Près d'elle, un bébé de quelques semaines attaché sur une planche-berceau. 
L'enfant. Presque ligoté. (…) 
Breton rejoint le groupe. Il est heureux. A l'intérieur de son sac, un très beau kachina qu'il vient d'acheter à cette jeune femme après quelques négociations. (…) 
Pour Breton une identification est possible. Un échange. L'impression soudain qu'il peut dialoguer avec l'invisible. Il le dit : 
Je veux m'approprier leur pouvoir." 

Au fil des jours, une relations ambiguë, souvent conflictuelle, se développe entre la vieille dame et cet homme, au point qu'il néglige de plus en plus sa vie familiale. C'est au moment où la rupture est consommée que sa voisine parvient à lui confier son secret le plus douloureux. 

"- N'allez pas croire. J'ai essayé de raconter cette histoire à d'autres. Je n'ai trouvé personne. Vous seul… 
Elle a poussé la porte. Nous étions dans la pièce au sapin. Près de la table. 
Elle a fait le tour de la table. Lentement. 
- C'était Noël… Notre premier Noël d'après-guerre. 
De sa main, elle frôlait le dossier des chaises. 
- Ma mère devait être ici, et là, c'était la place de Clémence… Elle a continué. Nommant tour à tour chacun des convives. Les convives de l'absence. - Ici, la place de mon père. 
Son regard errait sur cette table. Comme indifférent.
- Il neigeait ce jour-là. 
Elle a esquissé un geste. Et puis elle s'est reprise.
Elle a commencé à raconter. 
- S'il n'avait pas neigé… mais il neigeait et mon père était photographe. La neige sur Etretat. Il a dit qu'il faisait l'aller-retour. (…)" 

L'ambiance de ces rencontres et le style de Claudie Gallay m'ont fait penser à Marguerite Duras. La Normandie ? La relation Duras-Andréa ? Je ne saurais dire. Mais c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu ce roman, même si, j'ai trouvé que le personnage du jeune homme, et surtout les passages concernant la déroute de sa vie familiale, sont un peu négligés. Peut-être est-ce délibéré de la part de l'auteure, puisqu'il n'est que le support qui permet à la vieille dame de se libérer de son fardeau.

vendredi 17 septembre 2010

Nick Hornby : HAUTE FIDELITE, Plon, 10/18, 1997


Un adolescent attardé (à 35 ans quand même !) qui passe son temps à se plaindre de ce que sa vie, et principalement sa vie amoureuse, lui a réservé, voilà un sujet qui, de prime abord, n'avait rien pour me plaire.

Et bien, Nick Hornby réussit le tour de force, sans nous rendre le personnage sympathique pour autant, de nous intéresser, tout du moins, à sa démarche de remise en question et à son apprentissage de la vie adulte – tout n'est donc pas toujours de la faute des autres…! 



Il faut dire que l'auteur y met les formes : de l'humour, beaucoup de folie et surtout une anthologie de la musique rock pop de ma jeunesse. Je me suis mise à rechercher sur le net quelques-uns des tubes cités, juste pour le plaisir de les réentendre, et plein d'autres, inconnus au bataillon, en tout cas de mon bataillon.

samedi 4 septembre 2010

Claudie Gallay : SEULE VENISE, Ed. du Rouergue, 2004



Je suis à nouveau tombée sous le charme de l'écriture de Claudie Gallay. Son style s'harmonise parfaitement à l'ambiance de cette Venise hivernale et pluvieuse, dans laquelle, suite à une rupture douloureuse, la narratrice vient se perdre dans le labyrinthe des ruelles et des canaux, pour mieux se retrouver. 

La sobriété des phrases, leur simplicité, nous entraîne, non pas dans la Venise puissante et glorieuse, mais dans celle du quotidien d'une petite pension minable et d'une librairie de quartier. 



C'est ainsi que la jeune femme va retrouver le goût des choses - le vin qu'elle apprend à déguster en compagnie d'un vieux prince russe tragiquement romantique, le chocolat qu'elle boit au Florian, les livres et surtout les peintures de Zoran Music que lui fait découvrir un libraire -, le goût du contact avec les autres - outre l'amour quasi filial qu'elle ressent pour le prince, elle se lie d'amitié avec Luigi, le propriétaire aux dix-huit chats de sa pension ainsi qu'avec un jeune couple également locataire -, et petit à petit , le goût du désir et de l'amour. 


 Zoran Music Façade à Venise, 1983,
© Paris-Musées. Photo : Karin Maucotel
"Je prends un livre. Au hasard. Je l'ouvre, une page par le milieu. 
Vous revenez avec un plateau, deux tasses, des sucres dans une coupe. 
Vous versez le café dans les tasses. 
Du doigt, vous me montrer le livre que je tiens contre moi. 
- Zoran Music, vous connaissez ? 
Je fais non avec la tête. 
Vous vous asseyez sur un carton, moi sur la chaise en face. 
- C'est un peintre. Il habite ici, à Venise, dans le Dorsouro. 
Je regarde le livre. Le titre. La barbarie ordinaire, Music à Dachau, Jean Clair. 
Vous allumez une cigarette. 
- Cet homme est allé au pus loin dans la peinture. Il est allé dans ce qu'il était même impossible de peindre. 
Vous me parlez de lui. Longtemps. En ouvrant le livre et en le refermant. Quand vous vous arrêtez, je souris. Peut-être que vous attendez que je dise quelque chose. 
Je n'ai rien à dire. Je vous écoute."  

Décidément une auteure qui m'enchante.

mercredi 1 septembre 2010

Carlos Ruiz Zafon : L'OMBRE DU VENT, Ed. Grasset, 2004


Un homme emmène son jeune fils, Daniel, au Cimetière des Livres Oubliés pour qu'il y choisisse un livre et qu'il le garde comme un ami. Désormais, Daniel n'aura de cesse d'en retrouver son auteur maudit et disparu. 

Une initiation à la littérature, une découverte de l'amour, une enquête à la recherche d'un auteur perdu, un hymne à l'amour paternel, à l'amour éternel et à l'amitié. Tous les ingrédients d'un vrai roman sont présents et qui plus est, agencés dans une construction magistrale, faite de parallèles entre la vie et les amours des deux héros, d'un entrelacs d'éléments permettant de maintenir le suspens, pour déboucher, avec un certain culot, je dois dire, sur la récapitulation et la narration chronologique des événements qui ont constitué la trame l'intrigue. 

Carlos Ruis Zafon,  nous donne d'ailleurs lui-même la définition de ce qui, pour lui, est un vrai roman : 

"A mesure que j'avançais, la structure du récit commença de me rappeler une de ces poupées russes qui contiennent, quand on les ouvre, d'innombrables répliques d'elles-mêmes, de plus en plus petites. Pas à pas, le récit se démultipliait en mille histoires, comme s'il était entré dans une galerie des glaces o?u son identité se scindait en des douzaines de reflets différents qui , pourtant, étaient toujours le même." 

J'ai dévoré ce livre, avec le même plaisir que j'avais eu à lire le "Comte de Monte-Cristo". J'ai été intéressée par le cadre et l'époque - la Barcelone de l'après guerre civile - j'ai aimé les personnages et j'ai été séduite par cet univers de bibliothèques, de librairies, et de maisons d'édition. 

"Quand une bibliothèque disparaît, quand un livre se perd dans l'oubli, nous qui connaissons cet endroit et en sommes les gardiens, nous faisons en sorte qu'il arrive ici. Dans ce lieu, les livres dont personne ne se souvient, qui se sont évanouis avec le temps, continuent de vivre en attendant de parvenir un jour entre les mains d'un nouveau lecteur, d'atteindre un nouvel esprit. Dans la boutique, nous vendons et achetons les livres, mais en réalité ils n'ont pas de maîtres. Chaque ouvrage que tu vois ici a été le meilleur ami de quelqu'un."