vendredi 20 août 2010

Jane Smiley : CHAGRINS, Rivages, 1998

Encore une auteure que je ne connaissais pas, mais ce n'est pas une grande découverte. Peut-être aurai-je dû commencer par "L'Exploitation", roman pour lequel elle a reçu le prix Pullitzer ? 

En l'occurrence, "Chagrins" est un recueil de nouvelles, dont la première, qui a donné son titre au livre, est la plus longue : Un homme sait que sa femme le trompe, mais le cache et boit son chagrin tout seul.... Et alors ???? C'est inintéressant, plat, pauvre.... on n'en a rien à faire ! Le seul truc qui m'a fait sourire, c'est que comme il s'agit d'un "gentil mari", mais surtout d'un "nouveau papa" exemplaire (il pouponne, s'active, est très responsable, etc. etc.) il lui arrive la même chose qu'aux femmes qui, parfois, oubliaient qu'elles étaient épouses et se réfugiaient dans leur rôle de mères, il est cocu ! 

Parmi les cinq nouvelles – très courtes celles-là – je retiendrais, peut-être, "Le plaisir de sa compagnie", qui raconte la désillusion d'une femme lorsqu'elle se rend compte que l'amitié qu'elle croit avoir noué avec un couple de voisins, n'était en fait, pour ces derniers, que le moyen de se supporter l'un l'autre juste avant leur séparation. 

Tout le reste est vide, sans style, sans force.

samedi 14 août 2010

Fernando Vallejo : ET NOUS IRONS TOUS EN ENFER, Ed. du Rocher, 2005



Un roman tempétueux comme la rivière de Medellín avant qu'elle ne soit maîtrisée et ne devienne un cloaque à l'image, selon Vallejo, de son pays, la Colombie. 

Une langue baroque, pour des propos souvent outranciers, choquants et sans appel. 

Vallejo se laisse entraîner dans le souvenir du dernier voyage qu'il (que le narrateur ?) fait à Medellín pour assister son frère Darío, mourant du sida. Un peu comme une rengaine, qui vous obsède, il passe et repasse sur certains moments, sur certains événements, sur certaines émotions : son arrivée à Médellin, le "non-accueil" de son frère le Grand Couillon, la chambre qu'il occupe dans la maison paternelle, les après-midi à soigner son autre frère, Darío, allongé dans un hamac au jardin. 

"Il (le Grand Couillon) ne m'adressait plus la parole depuis des années et des années, depuis les premières jonquilles. Dans ses tripes, le maître de cet asile avait incubé une haine fermentée contre moi, contre cet amour, son propre frère, celui qui vous parle, qui dit : je. Enfin, on n'y pouvait rien, jusqu'à la mort de Darío, nous étions condamnés à vivre sous le même toit, dans le même enfer. Le petit enfer que la Folle a amoureusement construit de ses mains, peu à peu, jour après jour, en une cinquantaine d'années. Un petit enfer de tradition à l'image des entreprises solides qui ne s'improvisent pas." 

"Les deux petits frères étaient donc réunis et s'entretenaient dans le hamac pendu entre le manguier et le prunier du jardin, sous un drap blanc qui les protégeait du soleil, avec la Mort à leur côté, contre laquelle il n'existe aucune protection." 



Deux femmes seulement dans cet univers : la mère, la Folle, "pondeuse" exécrée de 25 enfants et la mort, avec qui il entretient un dialogue quasi complice, la mort, presque comme une alliée. A travers la haine de la mère, ce sont toutes les institutions (église et particulièrement le pape, le corps médical, les politiciens) qui se trouvent insultées et honnies. Un seul autre membre de la famille adoucit un peu cet enfer au quotidien, le père, mort une année auparavant. 

Le décor et les personnages sont posés, commence la valse des  :
"Tu t'en souviens, Darío ? 
Et comment qu'il s'en souvenait !" 

S'en suivent de grands moments de tendresse et d'amour fraternel inconditionnel. 

"Darío, frangin, le suppliais-je, il faut choisir ce qu'on veut être, dans la vie : fumeur d'herbe, de crack, ivrogne, pédé ou autre chose, mais pas tout à la fois. On ne peut pas. Le corps ne le tolère pas, ni la société indulgente. Alors, décide-toi une bonne fois et tiens-t'en là." 

"Et comment, qu'il s'en souvenait ! Voilà pourquoi je peux dire que si le disparu c'était moi et non pas lui, on n'aurait rien perdu, parce que la moitié de mes souvenirs, les meilleurs, les plus beaux, étaient à lui. " 

"Fume, Darío, fume encore, fume davantage. Rassasie-toi de fumée, et si tu veux délirer, délire, je te suivrai où que tu ailles, aussi loin que je le pourrai, jusqu'au fonds de l'abîme où s'ouvrent les enfers." 

Tout est prétexte à révolte, non pas contre la mort, mais contre la vie et encore plus contre les vivants. Ne prétend-il pas être lui-même déjà mort au moment où il écrit. 

"Cette nuit a été la dernière que j'ai passée là : le lendemain matin, j'ai quitté pour toujours cette maison, et Medellín et Antioquia, et la Colombie et ma vie. Mais la vie, non; la vie, je lui ai dit adieu seulement quelques jours plus tard, quand Carlos m'a appelé à Mexico pour m'annoncer qu'ils venaient de précipiter la mort de Darío, parce qu'il étouffait, n'en pouvait plus et les priait de le tuer. C'est à cet instant-là, le combiné à la main, que je suis mort. La Colombie est un pays chanceux. Elle a un écrivain unique. Un mort qui écrit." 

"La Mort ? Quelle Mort, imbécile d'ange ! La Mort, pour te dire la vérité, m'a toujours obéi de mon vivant. Quant à mon enterrement dans un si illustre cimetière où se sont décomposés tant de mes bien-aimés compatriotes, il ne faut pas y compter, on m'a incinéré à Mexico, ce qui a coûté une fortune en pots-de-vin pour arracher le permis aux services municipaux." 

C'est un roman dérangeant, comme je les aime d'habitude, mais celui-ci laisse comme un sale goût en bouche, comme un dégoût, tant les outrances sont fortes. Il vous oblige à vous arrêter dans la lecture, à le reprendre à peine terminé, à y replonger, pour le "digérer" mais j'en garde, finalement, l'émotion de la force du lien qui lie ces deux frères. 

C'est le premier roman que je lis de cet auteur, mais à la première occasion, je sais que je ne résisterai pas à en lire les autres.

jeudi 5 août 2010

Katarina Mazetti : LES LARMES DE TARZAN, Gaïa Editions, 2007


Voilà une auteure dont je n'avais jamais entendu parlé et un livre que j'ai donc emporté à la plage, en toute innocence, avec un sourire en coin au vu de la quatrième page de couverture, qui m'annonçait : "Elle, c'est Mariana, mais leur rencontre fut assez fracassante pour qu'il la surnomme Tarzan. Lui, il s'appelle Janne, pour de vrai." 

Et bien, heureusement que c'est à la plage, entre deux baignades que je l'ai lu. Il ne mérite pas plus d'attention, que celle que ce lieu nous permet, lorsqu'on n'est pas pris dans l'histoire au point d'en oublier l'entourage. 

Pour faire court, rien dans ce roman ne dépasse le "gag" d'entrée à savoir que c'est la femme qui s'appelle Tarzan et l'homme qui s'appelle Janne. (Je suppose qu'en suédois, cela doit tout de même se prononcer Yanne, non ?) Une histoire qui se veut le contraire de Pretty Woman, car on a affaire à une femme pauvre mais qui lutte pour son indépendance, et refuse de se "vendre" à un homme riche, soi-disant tombeur de ces dames, qui n'est autre qu'un "midinet" sentimental et maladroit. 

mardi 3 août 2010

Ismaïl Kadaré : LE GRAND HIVER, Ed. Fayard, 1978

Le grand hiver, c'est l'hiver 1960-1961, durant lequel l'Albanie s'opposa au diktat hégémonique de l'Union Soviétique. Ismaïl Kadaré, s'est amplement basé sur les mémoires du chef du Parti communiste albanais, Enver Hoxha pour nous relater la dégradation, puis la rupture des relations entre son pays et le "grand frère" soviétique. 

Le roman s'ouvre sur une tempête qui ne fait que conforter la rumeur d'un refus de l'URSS de fournir à la petite Albanie du blé, alors que cette dernière vient de subir une série de catastrophes naturelles. 



Vue de Tirana dans les années 1960
 Besnik, journaliste à Tirana, va être intimement lié à la rupture puisqu'il fait partie, en tant qu'interprète, de la délégation albanaise à la Conférence des 81 partis communistes qui s'est tenue à Moscou à fin 1960. On le soupçonnera même d'avoir mal traduit certaines interventions, ce qui pourrait expliquer l'entêtement d'Enver Hoxha à refuser de se soumettre aux injonctions de Khrouchtchev et son audace à prononcer un discours de dénonciation de la soumission exigée au non de l'unité. 


De retour en Albanie, tenu au secret, perturbé par la gravité des menaces de blocus qui pèsent sur son pays, Besnik va repousser la date de son mariage car le temps n'est plus au destin personnel et parce que la fidélité au parti ne saurait souffrir la moindre "insensibilité à l'égard des questions d'intérêt général"

Au travers des nombreux autres personnages qui peuplent ce roman (cadres du parti, jeunes oisifs, paysans visionnaires, balayeur de rue et même "bourgeois" déchus et reprenant espoir), Kadaré nous dresse, comme toujours, un tableau terriblement noir de la dictature, fut-elle du prolétariat. C'est avec un talent de conteur et un regard ne manquant pas d'humour qu'il mêle ces personnages à la page d'Histoire qui est en train de s'écrire. 

C'est un roman passionnant, qui nous rappelle des faits longtemps passés sous silence ou minimisés du fait de la grande scission qui intervint à la même époque entre l'URSS et la Chine. 

Il existe deux versions de ce roman : achevé en 1971 "L'hiver de la grande solitude" parut en 1973, au moment où le pouvoir menait une campagne contre les intellectuels. Le roman fit scandale et en 1975, Kadaré fut interdit de publication. Il écrivit une deuxième version augmentée de certains passages qui sous-entendent que le peuple faisait bloc avec ses dirigeants, sous le titre du "Grand Hiver", version qui parut finalement en 1978. 
Détail de la mosaïque représentant l'histoire de l'Albanie, sur la façade du Musée national d'histoire, à Tirana.

Je retranscris ici ces deux passages qui m'ont particulièrement plu et intéressée, mais qui ne sont pas forcément représentatifs du roman lui-même : 

"Ce matin-là, le rédacteur en chef ne sortit pas prendre son café comme d'habitude. Assis derrière sa table, dans son long bureau, il examinait attentivement une liasse de photos, sans arriver à décider celles qu'il publierait dans le numéro du lendemain. Elles avaient toutes été prises à la rencontre nationale des jeunes ouvrières, à laquelle avait participé Enver Hoxha. Mais ces épreuves ne lui plaisaient pas. Il ne parvenait pas à dire si c'était la faute des photographes, ou des appareils, mais de toute façon les photos ne lui semblaient pas bonnes. Il croyait savoir que les services photographiques étaient pourvus d'appareils modernes acquis en Allemagne de l'Ouest, mais cela n'était pas une raison. L'homme avant tout. Cette formule impitoyablement rebattue dans les réunions et conférences, lui revint insidieusement à l'esprit. Peut-être faudrait-il envisager le renouvellement des cadres. Et pourtant c'étaient ces mêmes photographes qui, des années durant, avaient fait des milliers d'excellents clichés. (...) 
Le vieux photographe de l'Agence télégraphique (...) ne s'était pas trompé. Les sels chimiques, cette fois plus clairement et plus fermement, avaient tracé sur le visage connu quelque chose de nouveau, de bizarre, qu'il était difficile de définir d'un mot. (...) Xan tira douze photos différentes de la solution et sur chacune d'entre elles observa la même chose. Et lorsque la cuve de porcelaine fut vie, brusquement, avec une étrange clarté, dans tout son être s'installa clairement cette pensée : Enver Hoxha avait un gros souci. (...) 
Non, il ne se confierait à personne. Tout au plus, ce soir, avant de s'endormir, dirait-il bien bas à sa femme : Ecoute, Sanié, Enver (il disait Enver tout court, sans "camarade", peut-être parce qu'ils étaient du même âge) – Enver a un grand souci. Alors, sûrement, elle se tournerait vers lui et lui répondrait avec effroi : Mon Dieu, pourvu qu'il n'y ait pas la guerre !" 
**** 

"Le correspondant traversa lentement le grand salon. L'homme ivre, qui continuait de chanter "Moscou, Tirana, Los Angeles", faillit le heurter. Leurs regards se rencontrèrent. L'autre sourit. 
"Jolie chanson, dit le journaliste, vous parlez français ? 
-Ah ! francé.... Mme Pompadour... oui, oui". 
Il s'imagine parler français, se dit le correspondant, et il tenta de lui parler en russe. Ils réussirent à se comprendre tant bien que mal. 
"Alors, où en est l'unité ? demanda le correspondant, d'un ton désinvolte. Totale, indestructible, comme toujours ?" 
Hochant la tête, l'homme ivre fit la moue avec une sorte de mépris. 
"Comme toujours, dit-il, unité totale, jusqu'à l'ennui".