dimanche 4 juillet 2010

Claudie Gallay : LES DEFERLENTES, Ed. de Rouergue, 2008



Reçu la semaine dernière, j'ai dévoré ce livre, et je remercie mon amie Anne de m'avoir fait découvrir cet auteur, dont je n'avais pas entendu parler, dans mes lointaines contrées grecques. 

C'est un roman écrit un peu à la manière d'un journal intime, chaque jour amenant, en deux ou trois pages, non seulement le déroulement de l'intrigue, mais par petites touches, la connaissance des hommes et des femmes habitant ce coin du bout du monde, le percement de leurs secrets, de leurs drames, dans une atmosphère soumise aux caprices de la mer et de ses déchaînements. 


"Ça a duré des heures, un déluge effroyable. A ne plus savoir où était la terre et où était l'eau. La Griffue tanguait. Je ne savais plus si c'était la pluie qui venait cingler les vitres ou si c'étaient les vagues qui montaient jusque-là. Ça me donnait la nausée. Je restais, les cils contre les carreaux, mon haleine brûlante. Je m'accrochais aux murs. Sous la violence, les vagues noires s'emmêlaient comme des corps. C'étaient des murs d'eau qui étaient charriés, poussés en avant, je les voyais arriver, la peur au ventre, des murs qui s'écrasaient contre les rochers et venaient s'effondrer sous mes fenêtres. Ces vagues, les déferlantes. Je les ai aimées. Elles m'ont fait peur." 

La narratrice – mais ce terme ne convient pas, elle ne s'adresse pas au lecteur mais à l'homme qu'elle a aimé et qui est mort peu avant son arrivée – la narratrice, tout de même, est ornithologue et procède au recensement des oiseaux sur les falaises du Cotentin. Elle est donc observatrice et s'attache à percer le mystère de la haine qui lie les membres d'une des familles du village, mystère ravivé par l'arrivée de Lambert, dont toute la famille avait péri, une quarantaine d'années plus tôt dans un naufrage. 

"J'ai remis du bois dans le feu. Je suis restée un moment, à genoux, à fixer les flammes. 
- Théo a compris que quelque chose s'était passé quand il a entendu les sirènes. Il a vu les lumières sur le quai, les portes grandes ouvertes et le canot qui sortait. Quand le canot est arrivé sur le lieu du naufrage, il n'y avait plus personne dans le voilier. Ils ont fouillé la mer. C'était la nuit. Ils avaient des lampes mais les vagues étaient fortes. 
- Ils n'ont pas assez cherché... -
-Théo dit qu'ils ne pouvaient pas chercher davantage. Lambert a fait non avec la tête." 

Le souffle du livre est fort, sombre et menaçant, comme les ciels d'orages, mais il y a des éclaircies et on se prend d'affection pour ce sculpteur et sa soeur, pour ce simplet et son rêve de pêche au requin, pour cette frêle gamine que tout le monde appelle la Cigogne et aussi pour ce M. Anselme qui vit dans le souvenir de Jacques Prévert qui a passé les dernières années de sa vie dans la région. 

Maison de J. Prévert
"Le cimetière où était enterré Prévert était tout près. On avait prévu de s'y arrêter et de poursuivre ensuite jusqu'à la maison du Val. Monsieur Anselme souriait. 
- C'est vraiment très bien que vous soyez là... 
Il faisait des projets pour une autre sortie. Il voulait que nous allions à Cherbourg pour acheter des tartes aux pommes. 
- 5, place de la fontaine ! Prévert faisait la route exprès, tous les mercredis ! Sa casquette à carreaux sur la tête. La patronne ne savait pas qui il était. Quand il est mort, elle l'a reconnu à la télé. Aux informations du soir. C'était mon petit client du mercredi ! elle a dit. 
Il s'est tourné vers moi. 
- Nous irons, n'est-ce pas ? 
- Je ne sais pas. 
Ça ne l'a pas empêché de sourire. 
- Si vous ne venez pas, j'irai seul et je ramène les tartes. 
C'était une belle journée de soleil. Les gens étaient dans les jardins, sur le pas des portes. Le linge séchait sur les fils.".

Au fil des jours, au fur et à mesure que le mystère du naufrage s'estompe, le deuil de la narratrice se fait lui aussi moins douloureux et offre la possibilité d'un nouvel amour. 

"Lambert a pris ma main. C'était une main large, chaude et confiante. Il a murmuré à mon oreille quelque chose d'infiniment doux, et on a rejoint ensemble le monde des hommes."